Serge Coosemans

Cette horreur noctambule nineties qu’étaient les soirées taboulé d’étudiants en socio…

Serge Coosemans Chroniqueur

Un article de Cracked.com qui se moque de la représentation de la fête à domicile dans le cinéma américain sert cette semaine de prétexte à Serge Coosemans pour basher les soirées d’étudiants en sociologie des années 90. Entre autres joyeusetés. Sortie de route, S03E37.

C’est bien connu, le cinéma américain a un problème avec la représentation de la fête. Il y a deux ans déjà, suite à un article de Didier Lestrade sur Minorités.org, on se moquait dans cette rubrique de l’incapacité des scénaristes hollywoodiens à considérer les discothèques comme autre chose qu’un « puits de dangers ». C’est-à-dire un lieu où essayer de vendre des disquettes de secrets d’état à des maffieux russes. Plus récemment, je suis tombé sur cet autre article, publié chez Cracked.com cette fois, et qui souligne à quel point, dans des films comme Superbad, Project X ou American Pie, la représentation de la « house party » est également totalement irréaliste.

Cet article de Cracked, pas très bon à vrai dire, est signé par quelqu’un qui se présente lui-même comme un gros geek, « mal à l’aise dans la foule », une « personne socialement maladroite ». L’auteur parle principalement de fêtes privées, que l’on appelle aux Etats-Unis « house parties », non pas parce que l’on y danse sur de la house, mais bien parce qu’elles se tiennent à domicile. Au cinéma, ce type de bamboula a généralement pour cadre une grande maison avec piscine et ce décor tient dans le film un rôle cathartique pour les personnages principaux. Ce qui se passe le soir de la « house party » change à jamais la vie des protagonistes. C’est l’équivalent de la résolution d’une « quête épique » et au moment le plus sensationnel de la fête, les protagonistes dévoilent leur lourd secret, perdent leur virginité ou même, dans le cas de Donnie Darko, expérimentent des sensations paranormales. Cracked fait bien de souligner que dans la réalité, tout ça est en fait plutôt rare, vu qu’une véritable soirée à domicile, ce n’est le plus souvent qu’une petite poignée de personnes qui boivent et rient jusqu’au moment où débarquent les flics, appelés par les voisins à cause du bruit. Personnellement, je ne me souviens même pas vraiment de la première soirée en appartement où je me suis rendu. Il me semble en fait y avoir surtout dormi, assommé par une dizaine de verres de Porto. Ce qui a définitivement changé mon rapport au Porto à défaut de transformer ma vie.

La house party n’est donc souvent monstrueuse que pour les besoins du canevas scénaristique classique. C’est une représentation initiatique impressionnante pour un coince-derche de 18 ans, où des gens de 20 ans, très à l’aise, dansent comme des fous, comme dans The Grind sur MTV, et où il se passe souvent tout un tas de choses dans les chambres et la cuisine. On teint le poil de l’animal domestique aux couleurs du rainbow flag, par exemple, ou alors on se jette du toit dans la piscine. J’ai connu des soirées apocalyptiques du genre, le plus souvent chez des fils de riches dégénérés et des architectes pochetrons mais c’étaient des exceptions. La plupart des fêtes à domicile où je me suis retrouvé, c’était en fait le plus souvent assis, avec du mauvais vin bulgare, à écouter de vagues connaissances débiter au kilomètre des lieux communs. Dans les années 90, quand j’étais encore assez jeune pour y être invité, ce sont les soirées chez les étudiants en sociologie qu’il fallait surtout éviter. Avec leurs taboulés goûtant la vieille chique, leurs joints abrutissants, leur rejet de la musique occidentale (sauf Massive Attack) et, bien évidemment, leur incompréhension totale du cynisme dans la blague. C’était traumatisant et j’en ai pour un long moment gardé l’idée heureusement fausse qu’en fait, beaucoup de soirées à domicile sont principalement organisées par des gens qui cherchent à socialiser sans être franchement sociables. Eux et leurs invités, pas toujours consciemment, méprisent en fait l’idée même de fête. C’est Michel Houellebecq, dans son recueil Rester vivant, qui synthétise au mieux cette tendance. Sous le titre « Qu’est-ce je fous avec ces cons? », il pointe les grandes raisons de se réunir: se réunir pour s’amuser, se réunir pour lutter (« le joyeux ciment d’une cause commune »), se réunir pour baiser et se réunir pour célébrer. Les étudiants en socio des nineties se réunissaient pour faire en sorte de dégoûter totalement le fêtard de la fête. C’était un grand complot, heureusement déjoué par la mise massive en circulation des drogues de synthèse, la démocratisation de la cocaïne et la prolifération des DJs électro.

Houellebecq a très certainement fréquenté des étudiants en sociologie dans sa jeunesse, puisque lui aussi estime que « le but de la fête est de nous faire oublier que nous sommes solitaires, misérables et promis à la mort » et que « se réunir pour s’amuser est la pire des hypothèses ». Quelqu’un qui se retrouve en boîte ou dans une boum n’a selon lui que deux solutions: draguer ou partir. Michou encourage la consommation d’alcool à doses modérées mais se méfie de son abus, qui peut rapidement conduire, allié à « l’érotisme ambiant », « à la violence, au suicide et au meurtre ». Tout comme le type de Cracked, Houellebecq pense qu’en réalité, « il suffit d’avoir prévu de s’amuser pour être certain de s’emmerder ». Ce cliché-là a la dent tellement dure que je me demande bien pourquoi il n’a jamais servi de base (à ma connaissance, du moins) à une comédie hollywoodienne sur la fête. Allô, Seth Rogen?

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