Serge Coosemans

Ces bandes de jeunes nés contre leur goût

Serge Coosemans Chroniqueur

Satori dans un resto grec pour Serge Coosemans, qui a enfin compris qu’il ne sera plus jamais branché et devrait fissa demander la nationalité grolandaise. Prix de l’encart publicitaire: un camion de neurones dégommé au Metaxa. Sortie de route, track #39.

Ce vendredi 20 juillet 2012 à Recyclart, soirée Finders Keepers, et les attitudes nous y semblent très convenues. Quand l’éclat de rire se fait outrancier, les regards ne sont pas vraiment réprobateurs mais, comme qui dirait, interloqués. Ce n’est pas un scoop: au sein d’une certaine branchitude autoproclamée, tirer la gueule est toujours très in, très bath. C’est même carrément l’attitude archétypale du nightclubbeur en mousse, la couille molle qui se donne une contenance. Un ami résume cela par une tagline définitive: « ces bandes de jeunes nés contre leur goût ». On exagère, bien sûr, car, à vrai dire, l’ambiance est plutôt bonne. Il y a moins de monde que Rue Neuve un premier jour des soldes mais il reste tout de même suffisamment de guignols enthousiastes pour qu’en cas de fouille policière, la flicaille reparte avec de quoi nourrir Tony Montana jusqu’à la retraite. Il se fait juste que mes potes et moi, on s’en fout. Contrefout. Ultrabranle. Mégatamponne. Venant d’où nous venons, trimballant un haut degré d’alcoolémie et de déconne dans le sang, nous ne pouvons pas nous contenter comme ça de demi-teintes polies, de culture underground le poing sous le menton. Tout à fond ou rien, voilà l’état d’esprit.

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Mettons qu’il est une heure du matin. Au même top-chrono la nuit d’avant, nous dansions en appartement rincés au saké sur I Don’t Smoke de Matyas Aguyao et Flic de Paris de Jehan Jenas en boucle, genre 25 fois d’affilée, à volume élevé, un véritable Guantanamo pour le voisinage. On se lançait des pétales de roses à la tête. On se déguisait, on se maquillait, on faisait des trucs avec des plantes vertes. Vraiment la bande de jeunes (?) en roue libre, nés parce que préférant la bibinne au liquide amniotique. Un gros dodo et une matinée d’aigreurs acides plus tard, que faire? Se chercher un Grec, pardi. Ces gars-là ont inventé la démocratie et l’homosexualité mais surtout la Retsina et le mezze chaud. Un bon gros tas de vraie bouffe d’ivrognes pour se requinquer, voilà l’absolue nécessité. Maintenant, soyons clairs: à Bruxelles, l’horeca grec tient souvent davantage d’une nuit de torture passée avec la police secrète des colonels plutôt que de la partouze en compagnie des naïades de Demis Roussos. Beaucoup servent le mufle sous trois couches de pertes blanches au concombre, avec à peu près le même enthousiasme que si c’était Angela Merkel à table. Le tout bien évidemment au son d’une musique affreusement pleurnicharde et les yeux percutés par des peintures abominables avec des bateaux dessinés comme des suppositoires et un ciel bleu de salle de bains. Internet aidant, on finit au Castel de Rhodes, rue de Flandre, qui se paye des critiques excellentes. Nous venons d’entrer dans La Quatrième Dimension.

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Au premier orteil posé, l’endroit se découvre plus resto du coeur que perle des Cyclades. Barbarie pure: il y a un couple de crétins en tenue de vacanciers, le genre bobo nazi, qui change les couches de leur chiard à table. Clientèle bizarroïde. Nous, 3 garçons le cerveau un peu à l’ouest, pas mal d’alcool résiduel dans le sang, à la première lampée de Retsina, les démons se réveillent, et on se met à jacter de plus en plus fort. De cul, qui plus est. Fous rires hystériques à la chaîne, on se dit que l’on va se faire jeter dehors. Loin de gêner le patron, celui-ci entre au contraire dans la danse, y allant lui-même de vannes snullissimes, entre pures dingueries et douzième degré de compétition. Il nous offre des briquets pornographiques et des coups en douce. Sa bouffe est excellente, vraiment, et en une grosse demi-heure, de demi-morts, nous redevenons bons vivants. L’équivalent zygomatique d’une montée d’ecsta et Georges, le patron donc, nous encourage davantage encore à frôler la rupture d’anévrisme en revenant à chaque coup avec un show de plus en plus psychédélique, doublé de rasades de Metaxa du genre à couper les bras de la Vénus de Milo. Bref, un total plan Groland, que l’on quitte hilares et repus car aussi improbable que cela puisse paraître, c’était vraiment très très bon.

Tout ça pour quoi? Se retrouver à Recyclart donc, cadre de débauche totale la décennie passée, lieu de certains de nos crimes toujours impunis. Dans une ambiance relax mais péteuse, où des mecs en masques jouent de la musique de films de boules futuristes sur des cassettes Ferro (Chrome Brûlée, plutôt pas mal, en fait) et le deejay Andy Votel passe du disco turc comme d’autres étalent de la confiture sur leurs tartines. C’est une proposition culturelle défendable, un genre de clubbing « alternatif » nécessaire à tout tissu urbain noctambule. C’est toujours mieux que DJ Furax à la Fête du Saucisson. Ou pas? Satori rue des Ursulines: si je m’ennuie un peu ici, ce n’est pas une question d’âge, ce n’est pas une question de génération. Ce n’est même pas que c’était mieux avant, ni la faute du programmateur et de son délire multiculti des plus clicheton. Ce n’est qu’une question de tempérament. Nous aimerions autant Recyclart aujourd’hui que nous l’avons aimé en 2005 si nous cherchions encore les frissons culturels dans les marges. Il se fait que l’on s’en tamponne au fond impérialement de cette frime, de ces musiques, de tous ces petits genres crevards que cela se donne. Total plan Jules Edouard Moustic, on cherche maintenant plutôt à rigoler avec les vieux fous, pinter des trucs susceptibles de rendre aveugles, traquer le fun dans des endroits improbables et suffisamment vicieux que pour mettre de la dentelle aux fenêtres. Ça n’a rien de beauf. C’est post-beauf, post-punk, pré-cirrhose. Demain, je demande la nationalité grolandaise.

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