Critique | Musique

Cécile McLorin Salvant – Dreams and Daggers

© MARK FITTON
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

JAZZ | Avec ses reprises de standards de Broadway, Cécile McLorin Salvant réussit à faire entendre sa propre voix, ludique, romantique et subtilement subversive.

Distribué par Mack Avenue records. ****

À 28 ans, Cécile McLorin Salvant s’impose de plus en plus comme l’une des voix les plus intéressantes du jazz actuel. Comme on n’en trouve « qu’une ou deux par génération« , à en croire Wynton Marsalis. Premier prix de la Thelonious Monk International Jazz Competition en 2010, McLorin Salvant a ainsi remporté le Grammy du meilleur album de jazz vocal, en 2016 (For One to Love). Née à Miami, mais élevée en français par un père haïtien et une mère française, elle a pourtant commencé par s’imaginer chanteuse d’opéra, avant de bifurquer. D’abord en plongeant dans l’héritage d’Ella Fitzgerald et de Billie Holiday, avant de remonter un peu plus loin vers les racines blues.

Comment investir le passé sans rabâcher? A fortiori dans une musique -le jazz- qui a été « patrimonialisée » à outrance? C’est sans doute, en grande partie, une question de sincérité et de personnalité. En la matière, Cécile McLorin en a revendre. Il y a du Sarah Vaughan dans les arabesques vocales de la chanteuse. Mais aussi, de son propre aveu, des éléments de Blanche Calloway, grande soeur flamboyante du Cab. Sur ses disques précédents, McLorin Salvant se laissait d’ailleurs volontiers aller à l’un ou l’autre cabotinage, quitte à ce qu’ils sonnent éventuellement un peu forcés, ou artificiels. Avec son nouveau Dreams & Daggers, elle règle le problème en proposant un double album enregistré quasi intégralement en live.

Cécile McLorin Salvant - Dreams and Daggers

En septembre 2016, la chanteuse a ainsi convié son trio habituel -Aaron Diehl (piano), Paul Sikivie (contrebasse), Lawrence Leathers (batterie)- pour trois soirs au mythique Village Vanguard. Au programme, une série de morceaux qui tournent à la fois autour du blues années 20 et du songwriting classique de Tin Pan Alley. Il y a donc du Irving Berlin (The Best Thing for You (Would Be Me)), du George Gershwin (My Man’s Gone Now), etc. Le titre le plus connu est sans doute Mad About the Boy, qui, chanté par McLorin Salvant, laisse entendre tout ce que la passion amoureuse peut charrier de névrose.

D’un autre côté, le You’ve Got to Give Me Some de Bessie Smith lui permet de laisser libre cours à ses penchants burlesques, tandis que Wild Women Don’t Have the Blues appuie des accents féministes qui ne peuvent que résonner avec l’actualité. Ce ne sont pas les seuls (If a Girl Isn’t Pretty). Ailleurs, accompagnée d’un quartet de cordes, la chanteuse met également en musique les mots de Langston Hugues, le grand poète de la Harlem Renaissance: Fascination est autant une déclaration d’amour qu’une ode à la fierté raciale -« And because her skin is the brown of an oak leaf in autumn, but a softer color, I want to kiss her« . Juste avant, si ce n’était pas clair, McLorin Salvant glisse encore un titre de Josephine Baker: Si j’étais blanche

Car si le thème est éternel -l’amour, son ivresse, sa folie, sa défaite -, et le répertoire parfois quasi centenaire, Cécile McLorin Salvant parvient à lui donner un relief contemporain, accroché à son époque. Épatant.

  • En concert le 27/10, à Bozar, Bruxelles
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