Carl de Moncharline: « Il a de nouveau réussi, ce con! »

Carl de Moncharline, on ne le présente plus. Ou alors pas longtemps. L’homme qui a ressuscité la nuit bruxelloise fête aujourd’hui le premier anniversaire de sa dernière création: le Wood. Interview décalée.

Carl de Moncharline, on ne le présente plus. Ou alors pas longtemps. De la Fiesta Latina à la Roller Parade, en passant par la Fête du Progrès, dresser la liste complète des événements qu’il organise à Bruxelles filerait de l’arthrose dans les doigts à tout journaliste clubber. Mais avant d’être une machine mainstream sous ciel bleu, Carl fut de toutes les grosses expériences nocturnes de la capitale, qu’elles soient tenues au Mirano, au Fuse ou bien sûr au Who’s Who’s Land, soit trois des clubs les plus mythiques de la ville…

Pour l’anecdote, l’entretien qui suit a été réalisé un samedi entre 22h30 et 23h.

Carl, y’a la Hockey Night aux Jeux, ça t’embête si je reste ici cette nuit?
L’interview a déjà commencé?

Heu… Tu as amené des DJ de Berlin et un gros line-up plus généralement pour l’anniversaire du Wood. T’es allé piocher dans la caisse noire du PS pour te l’offrir? D’abord, je ne suis plus au PS depuis quatre ans, il faut que ça se sache. J’ai quitté le parti quand j’ai décidé de me mettre au vert à la campagne. Je voulais m’occuper de mon enfant et de mon jardin. Au niveau politique, ma mission a été remplie. On venait d’une ville morte où il ne se passait rien, mon ambition était d’en faire une ville vivante. Je me suis mis au PS avec des gens qui avaient envie de la même chose que moi, aller de l’avant. Dix ans après, on a une ville qui bouge.

A ce propos, tu as donné des consignes à tes portiers pour que l’ancien bourgmestre François-Xavier De Donnea, fossoyeur de la nuit bruxelloise contre lequel tu t’es battu, soit recalé à l’entrée? Non, mais on est quasiment sûrs que ce n’est pas le genre d’endroits qu’il aimera fréquenter, car trop progressiste pour lui. Il risque de ne pas se sentir bien et d’être surpris par cette jeunesse qu’il ne pensait pas voir éclore. Le modèle de vie qu’il préconisait n’est pas la réalité du monde d’aujourd’hui. C’est mieux qu’il reste dans son square des Milliardaires, à penser que le monde est toujours comme au 19e siècle. Je suis sûr qu’il vivra longtemps.

Revenons au Wood… Cher cet anniversaire donc (le Wood souffle en ce moment sa première bougie)?
Par rapport au niveau financier, il faut savoir qu’on est un bar avant tout, sans entrée payante. On est parti sur un deal avec les programmateurs à Berlin: forcément, tu ne pars pas sur le même prix pour un DJ quand tu fais des entrées payantes et que t’amènes 3000 personnes que quand t’as un petit bar dans la forêt, ce ne sont pas les mêmes conditions. Puis il y a le know how qui joue, la réputation: on n’est pas nouveau dans la nuit, on communique bien, on a du métier. Y’a le respect du passé.

Le Wood commence à être considéré comme une des nouvelles places to be de la nuit bruxelloise. C’est quelque chose qui t’emmerde ou qui te fait plaisir? Tu revendiques cette nouvelle étiquette?
Non, mais on fait ce qu’on aime, et bien si possible. Puis surtout on essaye de ne pas être en compétition inutile avec les différents partenaires de la nuit, que ce soit les Jeux, le Libertine, le Parc Savoy, etc. On a chaque jour une couleur et on essaye qu’elle soit différente de ce qui est proposé ailleurs ce jour-là. Le vendredi, on est sur un public plus branchouille qui pourrait correspondre à celui du Libertine, qui n’ouvre que le samedi. Le samedi, c’est un public plus housy. Le jeudi, on fait systématiquement venir des DJ de Berlin: ce n’était pas calculé, mais les résidents du Wood n’arrêtaient pas de me gaver avec Berlin, Berlin, Berlin. Je leur ai simplement dit: « Ne vous faites pas chier, vous voulez faire du Berlin, on va faire du Berlin ».

Le Wood est un peu un mixte entre le Watergate et le Parc 25, l’esprit berlinois correspondait bien à notre côté un peu décalé, sauvage, familial, pas de sélection, pas de prise de tête. C’est l’une des volontés de base ici: trop souvent dans la nuit, on appréhende déjà le fait d’arriver dans le lieu parce qu’on se dit qu’on va être emmerdé pour entrer. Donc je voulais qu’on ait une pâtisserie familiale, avec cette espèce de communauté qui se sent bien et se sent comme chez elle.

Oui, mais il y a aussi une bonne dose d’autocensure dans le public potentiel, ce qui fait que tu refuses rarement l’entrée à quelqu’un… Ce que j’aime, c’est la mixité dans un public, pas quand il est casté. Je viens aussi d’une période de la nuit où l’atmosphère était très mixte.

Tu parles d’un point de vue « tribus de la nuit » ou même ethnique?
A tout point de vue. J’aime bien quand les gens se mélangent, même s’il y a une couleur musicale, au niveau du contenu, de l’atmosphère. Mais j’aime bien mélanger les BCBG et les casquettes. Et en gros c’est ce qu’on a le jeudi: aussi bien le taggueur avec sa casquette à l’envers qu’une bourgeoise décadente.

Sur un an, c’est quoi ton pire souvenir au Wood?
C’est tous les jours. Avoir une affaire, c’est quelque chose de pénible, c’est beaucoup d’argent à investir.

Et ton meilleur souvenir? Tu n’as pas eu un pic où tu t’es dit: « Ca tue ce que je fais, je suis quand même fort »?
Non, parce que c’est des tranches de vie, des périodes. T’es jamais dans un endroit en te disant « waouh, je kiffe trop mon endroit ». T’aimes bien ce qui s’y passe, mais y’a aussi des jours où ça se passe mal.

Tu ne parlais pas vraiment de nuit au début, en lançant le Wood…
On a ouvert un endroit avec une double affectation. Une affectation de nuit qu’on maîtrisait bien, et une affectation restaurant qu’on ne maîtrisait pas du tout. Le premier des combats a donc été de réussir l’affectation restaurant. Ca prend du temps. La nuit, finalement, on l’a fait pendant de nombreuses années, et on savait d’expérience que construire un endroit au niveau du public, ça prend du temps. Souvent, les gens arrivent dans ton endroit quand ton endroit marche et ont l’impression qu’il a toujours marché. Quand on a ouvert le Who’s Who’s, on a ramé pendant six mois avec personne à l’intérieur, il faut y croire, se battre, réfléchir. On savait très bien que la nuit mettrait du temps, parce que les gens ont des habitudes et que le temps qu’il faut pour changer ces habitudes chez les gens, c’est un certain temps qui prend beaucoup de temps. Je n’ai jamais eu d’endroits qui ont fait des buzz tout de suite, que ce soit au Mirano, au Fuse, au Who’s ou ici.

L’image d’un Carl qui va boire peinard son verre aux Jeux en se disant, après un moment: « Est-ce que je ne redeviendrais pas le roi du monde la nuit à Bruxelles? », c’est une image tronquée ou y’a une part de vrai?
C’est une question d’opportunité. J’aurais pu, depuis le Who’s, faire d’autres choses la nuit. Mais ce que j’aime bien faire, c’est des choses que je n’ai jamais réussies. Comme un restaurant. C’est pour ça que je fais des événements qui sont tous différents les uns des autres, par défi.

Tu parles de tes événements… Je me rappelle, ça devait être en février ou en mars 2009, il y a un jour où je n’ai pas de reçu de mail de toi pour annoncer l’un des tes événements. T’avais piscine ce jour-là?
C’est possible, avec mon fils! C’est la seule personne qui réussit à faire en sorte que je n’envoie pas d’emails…

T’as réussi à avoir une dérogation pour le clonage en fait? Ou tu fais bosser des Chinois dans une cave?
Non, c’est vraiment moi qui le fais. Je ne pousse pas sur un bouton pour envoyer des mails. Je distribue mes flyers depuis toujours, aujourd’hui encore, à 40 ans.

Qu’est ce qui te semble le plus excitant actuellement à Bruxelles après minuit?
Il y a toujours un truc qui se passe qui peut être sympa, un vernissage, l’ouverture d’un nouvel endroit, une soirée privée, un défilé… Mais faut quand même bien qu’on comprenne qu’on est une ville d’un million d’habitants, pas de dix millions, faut arrêter de se flageller. On ne sera jamais Paris, Londres ou New-York, mais on tient la dragée haute à ces villes de manière plus qu’honorable. Avec ce luxe qu’elles ne peuvent plus se permettre: faire des événements grand public qui sont bien tenus et bien gérés. Imagine-toi faire les Apéros urbains à Paris… Tu ne pourrais pas gérer l’afflux de public ni les débordements liés à la précarité. La vérité, c’est qu’à Paris, on s’emmerde. Les clubs ont la taille de flats ou de bar d’hôtel. On a malheureusement un million d’habitants pas deux ou trois comme Berlin, qui est le modèle idéal.

C’est qui ton DJ préféré?
C’est la bonne ambiance au bon moment.

Oué…
Tu peux avoir un mauvais DJ qui fait un set fabuleux et inversement. C’est juste une question de synchronisation, de magie de l’instant. J’ai fait venir un paquet de DJ depuis 20 ans et ce n’est jamais ceux que l’on pensait qui ont créé la magie. Ca a toujours été des trucs improbables.

Les sets les plus mémorables que t’as pu voir dans ta carrière?
DJ Sneak, Roger Sanchez, Chantal Goya et Plastic Bertrand. Ce sont quatre moments de magie.

Y’a un DJ que tu rêves d’amener ou plutôt quelque chose qui te semble encore inaccessible?
J’ai voulu faire venu des artistes néo-folk pour l’anniversaire du Wood. C’est un pied de nez à ce qu’on fait d’habitude. C’est juste se faire plaisir. On ne pense pas en terme de faisable ou pas faisable. Oui, je pourrais avoir des ambitions plus mégalomaniaques, comme Franco Dragone. Est-ce que je ne ferais pas de grands shows dans ce genre? Peut-être que ça arrivera.

Le Mirano qui est en travaux, ça t’inspire quoi?
Ben je crois déjà qu’on ne peut pas toucher aux murs intérieurs du Mirano dans la mesure où il est classé. On peut faire des aménagements, enlever un bar, la scène ou modifier la peinture. Il était nécessaire qu’il y ait un vrai changement, et on verra si ce changement se réalise. Ca peut donner le meilleur comme le pire, le Mirano est passé par les deux.

La piste tournante qui t’étais chère, si on l’enlève, ça te fait quoi?
Qui m’était chère… Je l’ai mise à une époque où ça avait son sens parce que c’était nouveau. Aujourd’hui, elle me donne le tournis, limite l’envie de vomir. Ils feront probablement l’erreur de la laisser. Mais pour moi c’est le passé et je ne suis pas dans le passé. On m’a demandé de refaire 200 fois des Who’s Who’s, mais moi je veux surprendre les gens. Et qu’ils se disent à chaque fois: putain, il a de nouveau réussi ce con.

Guillermo Guiz

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