BRNS, disque de patine: « Cet espèce d’inconfort est excitant »

BRNS, ce samedi au festival La Ferme! © Mathieu Zazzo
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Révélé en 2012 par un EP fouineur, BRNS garde le cap exploratoire sur un premier album, Patine, BO imaginaire d’un long métrage impétueux qui suscite des images, pas seulement sonores.

L’idée? Mettre deux musiciens de BRNS face à d’autres images, celles de l’expo Tardi et la Grande Guerre à Bozar (1). Une mise en scène âpre des tranchées de 14-18, gazées et infestées de rats, balancées par le vent dominant du canon. A priori divergentes de l’univers de quatre jeunes types de 26-28 ans, « issus d’un milieu plutôt privilégié où la culture circule »: on trouvait aussi l’allure de Talking Heads trop sage, avant de découvrir, fin 70’s, les ressources funky-telluriques de leur musique. Premier dogme: on ne s’accroche pas à l’apparence. D’autant que Tardi est le dessinateur chéri du père d’Antoine Meersseman (basse, claviers, choeurs), lui-même amateur de l’antihéros onirique Philémon: « Le parallèle que l’on pourrait faire entre Tardi et BRNS, ce sont les moments noirs, apocalyptiques, sauf que chez nous, on balance toujours aussi vers la lumière. On pratique l’ambiance mi-figue, mi-raisin, résultat d’une forme d’écriture automatique qui conduit, par exemple, à faire un refrain pop avec une charge noisy: toujours confronter, pour employer des mots un peu usés, le yin et le yang (sourire). » César Laloux (percussions, claviers, choeurs), arrivé après la parution de l’EP Wounded en 2012, visite aussi la galerie des fascinantes horreurs de Tardi. Ce titulaire d’un master en Etudes européennes précise la nature du trait: « Après les concerts, les gens nous parlent de cassures dans la musique, en sont surpris. Pourtant sur scène comme en studio, tout est assez écrit, sinon cela partirait dans tous les sens. On n’a pas la technique d’improvisation des jazzeux: on sait où sont nos forces. Plutôt dans le lard que dans la virtuosité (sourire). Notre musique est assez cinématographique effectivement, mais tellement le sont… »

Trois Bruxellois donc -Antoine, Diego Leyder (guitare, choeurs), Timothée Philippe (chant, batterie)-, rejoints par le Namurois César, produisent aussi des images remarquées. De tous les groupes belges récents, BRNS a le plus d’ambition visuelle. On pointe le film d’animation noir et blanc (déjà) dénudé de Carl Roosens et Noémie Marsily pour Our Lights, fin 2013, précédé par le compagnon YouTube de Mexico: cinq minutes où le protagoniste court après son souffle dans une campagne anxiogène. A poil, livrant son surplus pondéral à la musique pop et carnassière… Antoine: « Un type qui n’avait jamais fait ce genre de choses, Haroun Souirji, fan du projet, est venu nous proposer ce plan, tourné en deux jours caillasses à Couvin et Eupen. Personne n’avait aucune expérience de tournage mais on y est allé à la confiance. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Principe repris pour le visuel de My Head Is Into You, deuxième clip produit pour Patine après celui du titre Void: « On avait vu la vidéo de Lotus Plaza sur le morceau Black Buzz et repéré les réalisateurs, deux Américains regroupés sous le nom de Nautico: on les a contactés en nous disant que bosser avec eux allait coûter bonbon! Eux, nous ont simplement répondu qu’ils le feraient avec l’argent donné, soit au final 4000 dollars (…). Ils ont écrit le scénario, tourné avec des acteurs à Los Angeles et envoyé le résultat. On a tendance à faire confiance à l’interprétation d’autrui, on ne veut justement pas tout contrôler… » Résultat, un souffle d’amour vénéneux entre post-ados qui rappelle éventuellement Gus Van Sant. En moins pédé.

La vie d’artiste

Peu de groupes francophones ont suscité avant même leur premier album autant de buzz que BRNS: 200 concerts éparpillés en Belgique, « plus en Flandre où les MJ sont beaucoup plus développées que du côté wallon », et divers périples européens, France et Allemagne comme cibles privilégiées. Un contrat chez le label parisien de Carla Bruni (Naïve) et deux passages au Pukkelpop. À côté des statistiques, un peu moins d’extase comptable. Antoine: « On a rompu avec Naïve, avec l’impression que le bateau coulait (…), d’ailleurs, le contrat n’avait pas été signé! On a fait un peu les péteux avec Pias-Belgique, mais là, on est chez eux: peu de moyens mais beaucoup d’ambitions (…) » César: « Il faut quand même savoir que le Pukkel, pour les groupes de notre calibre, c’est plutôt un « honneur » d’y être invité qu’un truc financièrement plantureux. On a fait une formidable tournée de dix clubs en Allemagne, payée à prix très réduit. » Malgré des tombereaux d’éloges dans la presse, ce jeune groupe n’est pas forcément un cerveau aux oeufs d’or. Les quatre ont abandonné leur day-job depuis deux ans environ et vivent du statut d’artiste. On est plus proche du salaire de (modeste) employé que de celui de cadre. Mais, pour l’instant tout au moins, ils s’en contentent, conscients de saisir un fragment d’ébullition musicale, de truc intense qui ne repassera peut-être pas par là. Antoine: « On a une volonté de développement à l’international: on ira au prochain South By Southwest d’Austin, avec nos propres sous, on perdra sans doute de l’argent. Mais cet espèce d’inconfort est excitant, la musique n’est pas un mercenariat, juste une expérience de vie. »

(1) JUSQU’AU 23 NOVEMBRE, WWW.BOZAR.BE

BRNS – Patine ****

BRNS, disque de patine:

Les textes de BRNS, essentiellement écrits par le chanteur Tim, tournent autour des relations amoureuses. Initialement conçus en « yaourt », ils prennent ensuite une forme plutôt courte et sommaire. Histoire de laisser la place de goinfre à la musique. Et à ces choeurs soignés -encore Tim à l’ouvrage-, marque de fabrique élégante d’un album qui agit comme un puzzle ou, mieux dit, un dédale. La majorité des douze titres y gardent un air de liberté requise, de chevauchée débridée, d’ambianceurs qui dilatent volontairement le format pop sans l’anesthésier. Guitares gri-gri, roucoulades de batterie, accordéon maritime et toujours une sensation d’espace élargi au-delà de la bienséance. Behind The Walls, Inner Hell et le climax du disque, Any House, jouent des mêmes principes physiques -gravitation, lévitation- pour refuser la banalité rock. C’est amplement réussi parce que BRNS n’oublie jamais le sens de sa propre aventure. Ni le public.

DISTRIBUÉ PAR PIAS.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content