Bob Dylan, Neil Young, les Stones… Le retour des papys du rock

Les Rolling Stones, Neil Young et Bob Dylan. © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Quel rapport entre un concert historique de Dylan en 1966, le nouveau Neil Young et les Stones en cure blues préhistorique? Peut-être que vieillesse et archivisme musical ne sont pas forcément des naufrages.

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Dans une récente interview accordée à un journaliste US, Keith Richards affirme qu’il est noir. « Demandez donc aux frères… », précise-t-il avec son fameux rictus de pub vivante pour la momification. Un autre truc revient alors en tête: les images de Muddy Waters rejoint par les Stones sur la minuscule scène d’un club de Chicago en 1981, pour une version lente et humide de Baby, Please Don’t Go, morceau déjà râpeux des années 30. Pièce parmi d’autres d’une bio stonienne chargée de mariages électriques avec la musique noire: Richards est bien un Bounty inversé, blanc à l’extérieur et noir ailleurs. Donc les Stones 2016 faisant un album de reprises de blues, cela incarne autant le péché de fainéantise -même plus foutus de composer leurs propres titres- qu’un simple constat biographique d’amour sincère du genre. Désormais septuagénaires -c’est prévu pour Ron Wood en 2017-, les Stones surprennent depuis leur retour scénique en 2012 par ce qu’il faut bien qualifier de vitalité: combustion énergétique a priori davantage liée à l’âge juvénile qu’au troisième, elle arrose généreusement Blue & Lonesome malgré le répertoire puisé dans les grottes du blues américain, d’Howlin’ Wolf à Willie Dixon, certains titres ayant trois quarts de siècle. Ce qui accroche d’emblée, c’est le son rauque et canaille du disque, tenant plus d’une parenté contemporaine -l’esprit Black Keys n’est pas si loin- que d’un quelconque revival sixties. Même si Mick Taylor n’est pas convié aux libations -dommage- l’excellence s’incarne dans la batterie de Watts et les guitares de Richards/Wood, viscérales comme on aime (Just Like I Treat You). Sans que tout cela ne puisse ombrager Jagger, qui abandonne ses maniérismes pour une immersion totale, la voix et l’harmonica acharnés (I Gotta Go). Dans une allégorie qui touche même au grandiose (I Can’t Quit You Baby), montrant que de vieux Anglais blancs multi-millionnaires peuvent aussi bien sonner l’authenticité farouche que leurs contemporains noirs, américains et pauvres. Y a donc une justice.

Maquettes

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L’égalitarisme comme le partage et la volonté de paix constituent les thèmes de résistance du nouveau Neil Young, Peace Trail. Enregistré en quatre jours -un de plus que celui des Stones-, cet album est le sixième du Canadien depuis 2014: à 71 piges, Young joue d’une seule parade face au temps chronophage, goinfrer du disque et des concerts à gogo. Il le dit clairement d’ailleurs dès le second morceau: « I can’t stop working, because I like to work when nothing else is going on ». Pour son second album de l’année -après Earth- il délaisse sa collaboration avec les jeunes musiciens de Promise of the Real au profit du bassiste Paul Bushnell et du percussionniste Jim Keltner. Des deux mercenaires en question, Keltner (1942) est le plus biblique, accumulant depuis les années 70, un curriculum incluant les Beatles solos, Roy Orbison et Dylan, à de nombreuses reprises. Du coup, le disque ressemble souvent à un duologue rêche entre Young et Keltner, qui garnit des chansons plus frappantes par leur désir d’engagement que par leur achèvement musical. Il y est beaucoup question de la contestation d’un pipeline traversant sans ménagement le Dakota, y compris des territoires considérés comme sacrés par les Indiens, d’où le sentiment généralement offensif de la production. Pas que le son dépouillé n’aille pas à Young -voir la syncope de Texas Rangers- mais il ne parvient pas à transcender l’impression d’écouter des maquettes pro plutôt que des morceaux accomplis. On en retient quelques guitares névrotiques tranchant sur un disque dominé par l’acoustique (John Oaks)et des moments suspendus à une voix éternellement émouvante (Peace Trail, My New Robot). Avec Young en absurde roue libre synthétique -relents à la Trans- en fin des dix morceaux. Le tout s’écoute comme on attaque un bouquin, pourquoi pas, sauf que celui-ci n’a jamais la dynamique d’un page-turner.

Sex appeal

En 2016, on fantasme peut-être plus sur le Dylan des années 60 qu’on ne l’écoute réellement, peut-être parce que le mythe anthropophage pourrait décevoir. D’où l’intérêt de cette archive qui documente le moment où le folkeux cubiste passe à l’électricité, mutation historique entamée l’été 1965 au Newport Festival. Ce n’est pas la première résurrection du genre puisqu’en 1998 paraissait, dans la série Bootleg de Columbia, Bob Dylan Live 1966, The « Royal Albert Hall » Concert. Les guillemets signifiant que l’enregistrement n’a pas eu lieu dans la royale salle londonienne mais, en l’occurrence, au Manchester Free Trade Hall. Le double album actuel, The Real Royal Albert Hall 1966 Concert, provient bien, lui, du lieu proclamé. Façon de dire que les consommateurs de la réédition de 1998 n’auront pas vraiment besoin de celle-ci, similaire dans sa forme -un disque acoustique, l’autre électrique- comme dans les quinze titres proposés. La claque vient d’abord de la performance solo, où Dylan, sa guitare et son harmonica convoquent quelques-unes des chansons les plus irréelles du XXe siècle, Visions of Johanna, It’s All Over Now, Desolation Row, Just Like a Woman notamment. La beauté indélébile des morceaux tient aux puzzles de mots enfilés comme des désirs d’énigme permanente, matière assez opaque et brillante pour qu’un demi-siècle plus tard, elle sonne encore d’une insolence absolue. Pareillement à la façon bizarre qu’a Dylan de croiser la mélodie via sa prosodie décalée, pour un rendu solaire malgré tous les sous-textes brumeux et le refus d’une linéarité apaisante. Ce dépouillement complexe contraste avec la partie électrique, toute en graveleuses teintes blues-punk, charriant le maelström des guitares, de l’orgue et du piano au service des alluvions textuels. Dylan s’éclate, l’harmonica à l’air libre, comme l’exhibition d’un évident sex-appeal musical.

The Rolling Stones, Blue & Lonesome (Universal). ****

Neil Young, Peace Trail (Warner). ***

Bob Dylan, The Real Royal Albert Hall 1966 Concert (Sony Music). ****(*)

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