Critique | Musique

Björk: Tinder et fracas

Björk © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après Vulnicura, marqué par la rupture amoureuse, Björk continue de panser ses plaies et envisage à nouveau le meilleur sur Utopia. Aussi ébouriffant qu’étouffant.

Depuis près d’un quart de siècle, Björk a réussi à dessiner une trajectoire totalement hors-norme. Une démarche à la fois complètement intellectualisée, arty, parfois jusqu’à la caricature. Mais où les sens et les émotions continuaient malgré tout à guider les aventures artistiques de l’Islandaise. C’était particulièrement le cas sur l’album Vulnicura. Sorti en 2015, il la voyait s’effondrer face à la rupture amoureuse. Séparée du père de sa fille, l’artiste contemporain Matthew Barney, Björk étalait sa colère et son chagrin avec une intensité poignante. Cette mise à nu a eu un prix: après une dizaine de concerts seulement, la chanteuse a dû annuler la suite de sa tournée, incapable de soutenir sur scène les grandes vagues émotionnelles de Vulnicura.

Deux ans plus tard, Björk revient heureusement (un peu) plus sereine. Comment se relever après avoir mis le pied à terre et encaissé les coups? C’est un peu la trame d’Utopia. Son album Tinder, glisse-t-elle avec humour, pour décrire des chansons retrouvant une certaine légèreté. C’était du moins le scénario de départ.

Dès l’entame, un titre comme Arisen My Senses annonce en effet l’embellie, euphorique à sa manière. Juste derrière, Blissing Me est ce qui ressemble le plus à une ballade, guidée par une harpe cristalline, racontant le coup de foudre. Aux cordes tendues de Vulnicura, ont donc succédé un ensemble de douze flûtes (Utopia) ainsi que le choeur Hamrahlid Choir (dans lequel Björk a chanté ado). En outre, Björk pioche allègrement dans des enregistrements de chants d’oiseau (le disque Hekura, de David Toop, sorti en 1980, qui captait les bruits de la jungle, lors de séances shamaniques au Vénézuela).

Björk: Tinder et fracas

Cela étant dit, Utopia et son prédécesseur se ressemblent bien plus qu’ils ne se distinguent. Ne serait-ce que par la présence renouvelée du producteur Alejandro Ghersi, mieux connu sous le nom d’Arca, spécialiste pour construire des paysages électroniques aussi désolés qu’étouffants (Body Memory). En outre, Björk continue de panser ses plaies, quitte à embrayer sur le débat, très actuel pour le coup, de la domination masculine –« Let’s break this curse/So it won’t fall on our daughter », chante-t-elle sur l’explicite Sue Me, ou encore plus loin « Tabula rasa for my children/ Not repeating the fuck-ups of the fathers » (Tabula Rasa).

Même quand il s’agit d’élargir le propos, Björk reste toutefois au centre de la discussion, typique d’une démarche dont elle est à la fois l’objet et le sujet: pochette après pochette, de la geisha d’Homogenic au masque de Vespertine, Bjork mute, mais reste malgré tout le principal vecteur de son oeuvre. Ce qui peut lasser -notamment la voix qui a décidé de s’affranchir définitivement de la mélodie. Imposante, la présence de Björk en devient ainsi parfois écrasante. C’est le cas ici, avec un album qui s’étale sur plus de 70 minutes. Pour un voyage souvent mouvementé, c’est un peu long…

Björk, Utopia, distribué par One Little Indian. ***(*)

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