Biosphere aux Feeërieën: préprogrammé, prédéterminé, charmant

© Henrik Strömberg
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Seul sur scène, Geir Jenssen met son ambient music sur la table en plein milieu du Parc Royal lors du festival de l’AB. Indansable mais charmant.

En 1996, le journaliste britannique David Toop sort un bouquin formidable, intitulé Ocean of Sound, qui s’intéresse de près à « l’ambient music, (aux) mondes imaginaires et (aux) voix de l’éther ». Il y évoque un concert de Biosphere au Melkweg d’Amsterdam, où le norvégien Geir Jenssen s’en remet essentiellement « au bon vouloir de son PowerBook Mc Intosh, suscitant une véritable excitation, du mystère et de la tension à partir d’informations numériques uniquement. » David Toop dépeint un public varié: un punk qui médite, des fêtards du samedi soir qui cherchent à emballer, un hippie allongé sur le dos. Le journaliste juge cette audience d’autant plus difficile à satisfaire que l’ambient sur scène est par définition « une performance préprogrammée, pilotée par ordinateur, prédéterminée. La seule erreur ou le seul danger, c’est que la machine peut planter ».

Seize ans plus tard, fin août 2012 en plein milieu du Parc Royal de Bruxelles, aux alentours du kiosque rénové, rien n’a changé, ou presque. Modasses, freaks nourris à la Cara Pils, techno-geeks, BCBG curieux et vétérans du dancefloor: le public est toujours aussi varié que potentiellement circonspect. Seul sur scène, devant un écran qui diffuse des images très pastorales de paysages nordiques, Geir Jenssen joue peut-être avec Ableton Live, peut-être à Tetris Battle ou à Angry Birds. On n’en sait rien mais, ce qui est sûr, c’est que sa performance musicale est toujours « préprogrammée, pilotée par ordinateur et prédéterminée ». Passent de très vieux morceaux comme autant de réminiscences d’afters nineties et quelques extraits de son accidentellement terrifiant dernier album, N-Plants, sorti en février 2011, et inspiré de la quiétude des centrales nucléaires japonaises. C’était deux semaines avant Fukushima.

On n’est pas chez The Orb, le côté dance, l’extravagance camée, fédérer la foule dans la défonce. On n’est pas chez Brian Eno, l’art pour l’art, le high-concept. À équidistance de ces deux références absolues en son domaine, Biosphere-Geir Jenssen délivre un set statique au fond très pop, abordable, lumineux, jamais hautain, encore moins abrupt. Mais indansable. Et pas forcément trippant aux oreilles néophytes. Et manquant (faussement) de relief. D’où le sourire en forme de banane des véritables fans et le désintérêt certes relatif mais immanquablement prégnant du reste de la foule, un peu en mode Soirée Gazon vu le passif des lieux, et qui aurait dès lors sans doute nettement préféré que le récent quinquagénaire tape dans la sono de son acid-house festive sortie en 1989 sous le nom de Bleep plutôt que des extraits contemplatifs de son impeccable discographie biosphérique (highlights: Microgravity (1992) – Substrata (1997) – N-Plants (2011)).

Dès lors, on en revient forcément à David Toop, qui disait dans son bouquin que l’ambient manque « de points de focalisation, de nourriture pour les couvertures de magazines, d’artistes de scènes dynamiques ». Clair en 1996 comme en 2012: ce n’est toujours pas une musique à apprécier dans une configuration technique de concert pop/rock, ne fut-ce que parce que le public regarde un mec qui ne fout pas grand-chose. Quand Biosphere sera programmé dans un hammam, au Planétarium ou jouera dans une montgolfière survolant la Forêt de Soignes overbookée, la nuit, on pourra véritablement en recauser, superbement planer, se coltiner des chocs. En attendant, les prestations molassonnes de Geir Janssen donnent toujours autant envie de réécouter ses disques, pour la plupart tout simplement parfaits. C’est déjà beaucoup, évidemment!

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