Laurent Raphaël

Beyoncé, Christine and the Queens & Booba: stupeur et tremblements

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Jusqu’où le prosélytisme de Beyoncé est-il vraiment sincère dans la mesure où il sert aussi à affoler le tiroir-caisse? » L’édito de Laurent Raphaël.

On peut avoir l’esprit ouvert, être persuadé que l’arbre de mai 68 n’a pas donné que des fruits pourris, continuer de croire qu’il est possible de cultiver sur la même parcelle les chênes centenaires de notre patrimoine et les jeunes pousses du progrès, ne pas vouloir sortir l’artillerie lourde de la décadence au moindre changement, embrasser même dans les grandes lignes le manifeste de la postmodernité -et en accepter la part de risque, d’inconfort et les paradoxes-, et par moments être néanmoins déboussolé par la tournure des événements. Notamment quand le carrousel se met à tourner plus vite que sa propre petite musique intérieure. En résulte un léger vertige, comme une soudaine sensation d’étrangeté à soi-même. Une nausée passagère ressentie à deux reprises la semaine passée.

La première fois, c’était en visionnant le nouveau clip de Beyoncé, Formation, servi également en encas lors du Super Bowl. Dans un emballage R’n’B pur sucre (chorégraphies millimétrées, tenues légères, vernis sexy, imagerie ghetto, rythme fiévreux, goût de bitume, photo léchée…) qui doit aider à faire passer la pilule, la reine de la pop délivre en réalité un message à fragmentation en forme d’inventaire des mauvais traitements infligés à la communauté noire par la majorité blanche. Un peu comme si les grandes questions sur la faillite de notre civilisation chères à Stefan Zweig faisaient irruption sur la scène d’une comédie de boulevard entre deux claquements de porte… On savait la politique soluble dans la pop culture mais à ce point-là, c’est du jamais vu.

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A coups d’images explicites directement en prise avec l’Histoire et surtout les plaies de la communauté afro-américaine, mais qui pourraient passer pour de la gomme tendre pour un oeil et une oreille distraites, elle transforme sa chanson en hymne politique plus Malcolm X que Martin Luther King. Allusion aux inondations de Katrina, dont les Noirs ont été les principales victimes, références aux codes vestimentaires des Black Panthers et de l’esclavage, éloge des attributs physiques « nègres » selon ses propres termes… Un ton radical qui décoiffe, même une coupe afro. Si on ne peut que saluer l’audace de cette prise de parole risquée, et relayée en prime time devant toute l’Amérique, comment lever l’ambiguïté de cette étrange alliance entre la force de frappe pop et l’activisme communautaire? Beyoncé semble enfourcher un nouveau cheval de Troie en faisant entrer la cause black dans les esprits wasp à coups de beats enflammés. Mais jusqu’où ce prosélytisme est-il vraiment sincère dans la mesure où il sert aussi à affoler le tiroir-caisse? Mainstream et subversion se fondent dans un grand fourre-tout sémiologique.

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L’autre coup de pied dans la boussole est venu de France. Là encore par la voie d’un clip aquatique. Sur un radeau automobile, on y voit Christine sans les Queens pour le coup taper la causette musicale avec… Booba, le gros bras du rap français. Wouaw. Une rencontre du troisième type entre l’égérie féministe et arty adoubée par la bobosphère et l’artificier en chef de la punchline misogyne. C’est comme si hier Sid Vicious s’était embarqué sur un canoë avec Abba. Plus mal assorti tu meurs. Si le but du jeu aujourd’hui est de brouiller le plus possible les pistes (Christine parle de « faire bouger les lignes » dans le message d’explication qu’elle a publié après le tollé général), ils ont gagné haut la main. Pas sûr toutefois que dans ce cas de figure-ci, le tout représente plus que la somme des parties. A vouloir tout essayer, tout mélanger dans un élan de déconstruction maniaque et quasi dogmatique, on tend le bâton à ceux qui vomissent l’hypocrisie d’une génération sans valeurs et le relativisme culturel d’une époque sans mémoire.

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