BadBadNotGood, bonbonne de jazz

De gauche à droite: Leland Whitty, Alexander Sowinski, Chester Hansen et Matthew A. Tavares. © Daniel Wooden
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Biberonnés au hip hop mais pas que, les jazzmen extraterrestres de BadBadNotGood s’entourent de Kaytranada, Colin Stetson et Sam Herring, le chanteur de Future Islands, sur un quatrième album époustouflant.

DJ Mustard, collaborateur de Drake et Tyga et disc-jockey officiel de YG, les présente comme des Ramones new age. Chester, Alexander et Leland BadBadNotGood attendent sagement à la table d’un bar quartier Dansaert pendant qu’un peu plus loin Matthew BadBadNotGood boit un verre avec Lefto. Polis, bien élevés, propres sur eux, les Canadiens ne sont pas des punks à crête crachant des histoires de came et de prostitution masculine sur des chansons à trois accords mais ils ont comme eux un talent certain quand il s’agit de renverser les barricades et libérer un style, le jazz, de son image poussiéreuse et de ses carcans.

Les Canadiens, d’abord connus pour leurs relectures de Nas, Earl Sweatshirt, Kanye West et Ol’ Dirty Bastard, affinent sur leur quatrième album IV (titre somme toute logique quand on a intitulé les précédents 2 et III et qu’on vient de se muer en quatuor) leur déclinaison d’un genre qui revient lentement mais sûrement dans l’air du temps. « Internet a complètement changé la manière qu’a notre génération d’écouter la musique, entame le bassiste Chester Hansen. On a accès à tellement de choses. On peut mener des recherches si facilement sur tout et n’importe quoi. On découvre un mec et, quasi instantanément, on peut se procurer tout ce qu’il a enregistré. Ça a aidé les gens à devenir des auditeurs plus ouverts d’esprit et le jazz est en train d’en profiter. »

On ne peut toutefois vivre éternellement sur son passé, aussi glorieux soit-il. Un courant artistique a besoin de nouveaux visages, de sang frais pour ne pas se momifier. « Quand tu étudies un instrument, tu écoutes tout Miles, tout Coltrane. Tu veux comprendre pour progresser, note Alexander Sowinski avec ses faux airs de frère Borlée. Mais quand tu n’es pas musicien, tu écoutes de la musique parce qu’elle t’a tapé dans l’oreille. Et en ce sens, les artistes actuels sont d’indispensables ambassadeurs. »

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En matière de jazz 2.0, le batteur de BadBadNotGood cite Thundercat, Esperanza Spalding ou encore le Hollandais Jameszoo qu’il a rencontré la veille. « Il nous parlait de son album. Il a invité dessus deux de nos musiciens préférés de tous les temps: le pianiste de jazz new-yorkais Steve Kuhn et le légendaire arrangeur, compositeur et producteur brésilien Arthur Verocai. C’est assez dingue d’être si proche en goûts musicaux d’un mec à l’autre bout du monde qui en plus en fait un truc aussi unique. » Un truc unique qui sort, comme l’emblématique Kamasi Washington, sur le label Brainfeeder de Flying Lotus, le petit-neveu d’Alice Coltrane.

« Kamasi propose une musique très accessible. Elle n’est pas réservée à une élite, à des spécialistes qui ont une connaissance super pointue du jazz. On peut la disséquer mais c’est surtout une expression honnête, authentique et bad ass. Il fut un temps où le jazz était plutôt grand public, où il incarnait une musique de jeunes. La force et la longévité de son retour en grâce vont dépendre de sa connexion avec la génération actuelle. »

Melting-pot

Devenu un quatuor avec l’arrivée officielle dans ses rangs du saxophoniste Leland Whitty, BadBadNotGood a fabriqué IV dans son studio garage de Toronto. Un petit espace de Little Italy dans lequel répétaient auparavant les Cowboy Junkies. Présenté par les Canadiens comme un grand melting-pot de toutes leurs influences, IV change de couleurs en fonction d’invités qu’ils ont longtemps craint de faire cohabiter. Colin Stetson pointe le bout de son inimitable saxophone expérimental sur Confessions Pt. II. Samuel T. Herring (Future Islands) amène sa voix terriblement soul et chaude sur le très Daptone Records Time Moves Slow. Là où le flow de Mick Jenkins sur Hyssop of Love rappelle le Sour Soul sorti l’an dernier par les blancs-becs de BadBad avec Ghostface Killah du Wu-Tang Clan. « On n’avait jamais rencontré Ghostface en chair et en os avant que l’album soit terminé. Bizarre? Je ne sais pas. Ça a bien marché comme ça. En fait, on s’est vus pour la première fois dans le jardin derrière le Alife Store (un magasin de sneakers à New York, NDLR) où nous avons donné notre premier concert. On a commencé à jouer. Il a débarqué. On a terminé le set. Et il était déjà dans sa voiture prêt à se barrer quand on l’a chopé pour parler un peu. On était vraiment intimidés. C’est une légende absolue. Un des plus grands paroliers de tous les temps. Mais depuis, on a appris à se connaître et on est devenus amis. C’est devenu: yo, how are you guys doing? »

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Les BadBad pourraient parler pendant des heures de soul. De la Motown, la Stax, des compilations Numero Group et Now Again. Mais quand le mot rap vient sur la table, les garçons s’emballent. Eux qui jouent dans des tributes à J Dilla, ont collaboré avec Drake et servi de backing band à Frank Ocean pour Coachella. « Cette année, on a beaucoup aimé le Chance The Rapper, le YG, le Mick Jenkins, le Anderson. Paak et le Skepta, énumèrent-ils d’une voix. Le rap reste à l’heure actuelle le genre le plus inventif. » À leur manière toute particulière, ces quatre-là ne sont pas étrangers au phénomène. La pochette de leur nouvel album, où ils exposent leurs corps de crevettes, ressemble furieusement à une pochette arrière. Quand il s’agit de mettre les choses sens dessus dessous, BadBadNotGood sait définitivement y faire.

BADBADNOTGOOD, IV, DISTRIBUÉ PAR INNOVATIVE LEISURE/V2. ****

LE 3 NOVEMBRE À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

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