Au Sportpaleis, la foi et les failles de U2

Bono et son nouveau coiffeur. © EPA/Toni Albir
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Mardi soir, les Irlandais donnaient le premier de leurs deux concerts anversois. Déclassés, les Irlandais? Pas si sûr…

La dernière fois, c’était en 2010, au Stade Roi Baudouin. U2 venait y étrenner, deux soirs de suite, son bien nommé 360° Tour: peu inspiré, ennuyeux, le groupe irlandais donnait , littéralement, l’impression de tourner en rond. Cinq ans plus tard, la bande à Bono était de retour, cette fois au Sportpaleis d’Anvers. Dans ses bagages, un nouvel album, Songs Of Innocence paru l’an dernier. Il aurait dû relancer la machine, à défaut de la rénover. C’était sans compter le bad buzz d’un disque-spam dealé avec Apple… Déclassés, les Irlandais? A terre, à l’image de Bono et son accident de vélo dans Central Park, qui retardera de plusieurs semaines la tournée? Le flop aura au moins eu un intérêt: bousculé comme il l’a rarement été, U2 a dû se mobiliser.

Car les Irlandais ne sont jamais aussi bons et pertinents que dans l’adversité. Comme, par exemple, quand il réinvente le concept d’intimité pour stade. De Muse aux Foo Fighters, il faut bien avouer que les tenants actuels du stadium rock font rarement dans la dentelle, privilégiant le passage en force et les effets pyrotechniques. Pas U2, qui, pour avoir quasi inventé le concept, réussit encore en 2015 à lui insuffler des émotions, comme ce fut le cas mardi, transformant l’arène en club.

Exemple avec le nouveau Cedarwood Road, qui évoque l’adolescence des musiciens dans l’Irlande chaotique des années 70. Pour l’occasion, le dispositif scénique sert directement de support narratif: fini le cercle de la tournée 360°, place à la ligne droite – qui partage à la fois la salle en deux, et relie la scène principale à un deuxième podium -, et sur laquelle sont projetés des films d’animations, dans lesquels Bono finit par s’incruster en direct. C’est à la fois simple et audacieux, visuellement épatant – comme quand, plus tard, The Edge se retrouve à jouer dans la main de Bono sur Until The End of the World… Sur le morceau suivant, Song For Someone, le jeune Paul Hewson se retrouve dans sa chambre d’ado, entre les posters des Clash et de Kraftwerk, s’échinant sur sa guitare à composer un morceau pour celle qui deviendra sa femme, Ali – « Je voulais l’impressionner avec une chanson, explique l’intéressé 40 ans plus tard. Je travaille toujours dessus… »

Au Sportpaleis, la foi et les failles de U2
© EPA/Britta Pedersen

Avec une telle mise en scène, le concert est évidemment solidement calibré, voire verrouillé. Il faut même se taper un drôle d’interlude, le temps d’un The Fly, joué sur bande, plaqué sur un Mur de Berlin animé par les slogans repiqués au Zoo TV Tour (« Everything You Know Is Wrong »). Malgré cela, il reste de la place pour les failles. Comme quand Bono massacre sa partie de piano sur Sweetest Thing… Ou quand il invite une jeune femme à danser avec lui sur scène, le temps de Mysterious Ways, avant de lui filer un smartphone pour filmer, et diffuser en direct sur la plateforme Internet du groupe, le morceau Elevation. Bien sûr, la scène se répète tous les soirs. Mardi, pourtant, il s’est passé quelque chose en plus. On l’a vu. C’était clair, net, précis: à travers les lunettes fumées, on a capté le regard de Bono, pris à son propre piège, emporté par l’euphorie du moment.

Bien sûr, le prêtre-missionnaire n’est jamais très loin. Alors que The Edge entame la ligne de piano d’October, des images de villes syriennes en ruines (Homs? Alep?) sont projetées, glaçantes. A la suite, Bullet The Blue Sky gronde et tonne comme jamais: au beau milieu, Bono y murmure le début de l’Hymne à la joie, tandis que sur l’écran douze corps éparpillés en étoile flottent sur la Méditerranée… On peut évidemment critiquer le prêchi-prêcha d’un rockeur milliardaire. Ou saluer des prises de position politiques d’une star qui n’a plus grand-chose à y gagner.

Ce n’est de toutes façons pas aujourd’hui que l’on résoudra le dilemme. Par contre, à Anvers, U2 a rappelé que si, sur disque, il ne pouvait plus vraiment bousculer musicalement, sur scène, par contre, il restait légitime pour incarner une certaine idée du rock. Qu’il avait encore des choses à raconter, qui soient, sinon pertinentes, en tout cas crédibles. Après plus de trente ans d’activité, c’est déjà énorme.

SETLIST: The Miracle (Of Joey Ramone) / The Electric Co. / Vertigo / I Will Follow / Iris (Hold Me Close) / Cedarwood Road / Song for Someone / Sunday Bloody Sunday / Raised by Wolves / Until the End of the World // The Fly / Invisible / Even Better Than the Real Thing // Mysterious Ways / Elevation / Sweetest Thing / Every Breaking Wave / October / Bullet the Blue Sky / Zooropa / Where the Streets Have No Name / Pride (In the Name of Love) / With or Without You // RAPPEL: City of Blinding Lights / Beautiful Day / One

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