Critique | Musique

Art Pepper – Blues for the Fisherman

JAZZ | Si Art Pepper n’eut qu’une vie, le musicien aura, lui, connu plusieurs carrières. Ce coffret, enregistré en 1980, constitue un des sommets de son ultime come-back.

Il fut avec Chet Baker l’un des playboys du jazz de la côte ouest: beau, cool et charismatique. Comme Baker, Arthur Edward Pepper (1925-1981) dit « Art » deviendra un pathétique junkie, connaîtra la prison et la déchéance physique. Mais contrairement au trompettiste, cela n’altérera jamais la qualité de son jeu ni sa perception d’une musique dont il suivit l’évolution, à sa façon -celle d’un « Boa capable d’ingurgiter les styles de ses illustres contemporains tout en restant fidèle à lui-même » (Ted Goia)-, jusqu’à revendiquer l’héritage de John Coltrane. Formé auprès de Benny Carter et de Stan Kenton, il se construisit un style entre « le swing et le bop, le hot et le cool » (id.) qui en fait un des rares saxophonistes alto à s’être forgé un son totalement original à une époque (les années 50) où tout altiste se veut le clone de Charlie « Bird » Parker. Mais, malgré quelques fabuleux disques qui sont aujourd’hui considérés comme des chefs-d’oeuvre à part entière de l’histoire du jazz (Meets the Rythm Section, The Art of Pepper, 1957, Modern Jazz Classics, 1959, Smack Up, Intensity, 1960), il ne bénéficiera pas à cette époque de la reconnaissance artistique ou du succès public que recueillent ses alter ego « junkies », tels Chet ou Stan Getz.

Son retour au premier plan, à partir de 1975, constitue l’un des come-back les plus miraculeux de l’histoire du jazz. Il est dû à 2 facteurs: l’usage (un temps) de la méthadone et, surtout, la rencontre d’une jeune femme, Laurie, qui deviendra sa dernière épouse et sa muse. Elle sera le maître d’oeuvre de l’autobiographie d’Art, Straight Life, l’un des plus formidables bouquins jamais consacrés à la vie d’un musicien de jazz, et publie, depuis qu’elle a fondé son label, Widow’s Taste (!), les nombreux inédits enregistrés en concert de l’altiste, son legs à la postérité.

Living Legend

Art Pepper enregistre Living Legend, premier album à paraître sous son nom depuis 15 ans, en août 1975. Son succès (préparé mais néanmoins inattendu) va permettre à Art de multiplier les enregistrements et les tournées qui le mèneront au Japon (il y sera, à l’image de Miles, accueilli comme un dieu vivant) et en Angleterre où a été enregistré le présent coffret. Brillamment entouré par le pianiste Milcho Leviev, le bassiste Tony Dumas et le batteur Carl Burnett, Pepper, tout au long des 2 soirées qui clôturent un engagement de 2 semaines au Ronnie Scott Club, y délivre le meilleur de lui-même sur ses standards préférés comme ses plus belles compositions (Straight Life, The Trip, Ophelia, Goodbye). Mais au-delà de la performance musicale, ce que Laurie Pepper a voulu nous faire partager, en n’omettant rien de la totalité de ses sets (dont quelques titres sont parus à l’époque sur 2 LP très recherchés du label Mole), c’est le processus musical même, à travers les doutes et la nervosité d’Art, ses dialogues fébriles, drôles, parfois autocritiques avec un public conquis qui lui insuffle en retour une énergie au goût du bonheur que l’altiste et clarinettiste traduira, paradoxalement, en multipliant les blues (Blues For Blanche, Blues For Bould, True Blues, Blues For The Fisherman) et, généralement (mais c’est ce qui convenait le mieux à son lyrisme à fleur de peau), les titres dramatiques en tempo lent.

Philippe Elhem

ART PEPPER, « RONNIE SCOTT’S LONDON: BLUES FOR THE FISHERMAN » UNRELESEAD ART PEPPER VOL. IV, WIDOW’S TASTE 1.1001 (ARTPEPPER.NET). *****

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