Serge Coosemans

Arlon, où il y autant de café dans la Chouffecafé que de zboubs dans le Zizi Coin Coin

Serge Coosemans Chroniqueur

SORTIE DE ROUTE | Comme à chaque fois que notre chroniqueur s’en va couvrir les Aralunaires d’Arlon, il en ramène un article pas fort passionnant. Moins bourré et plus participatif que la dernière fois, pourtant. La faute à la météo, s’excuse-t-il.

Des Aralunaires d’Arlon, festival pourtant estimable, j’ai l’an dernier ramené ce qui reste sans doute la pire chronique de cette collection. Ce n’était pas prémédité. C’est la damnation de l’écriture noctambule consciencieuse. Pour être bon, il faut participer et participer, c’est s’imbiber. Donc risquer les trous dans la tête, les notes le lendemain illisibles et le vortex qui fait qu’à 6 heures du mat, vous êtes toujours au bistrot, pas à l’event que vous êtes censé couvrir. Soit. Histoire de rendre justice à la culture locale de la ville qui a vu naître l’immense Thierry Coljon, je m’étais promis d’un jour écrire sur Arlon le papier définitif. Démarrée ce samedi 27 avril 2013, la cinquième édition des Aralunaires semblait d’autant plus me le permettre que j’y étais moi-même invité en tant que pousseur de disques, après un concert de Lydia Lunch, ce qui me permettrait un accès privilégié aux informations, aux backstages et aux regards du public. Cerise sur le gâteau: alors que je cherchais à me faire booker une chambre par l’organisation, j’ai aussi appris que tous les hôtels de la région étaient complets du fait que se tenait au même moment JUSTE EN FACE de l’endroit où je devais prester l’annuel SALON DE L’ÉROTISME!!! L’aubaine carrément cosmique! J’allais enfin pondre sur Arlon un papier héritier de ce que mon gourou absolu, le grand Hunter S. Thompson, a lâché sur Las Vegas. En plus post-punk, en plus cul. En plus gaumais (lorrain, mais bon), aussi.

Dans la bagnole, avec Poupou et Waldo, mes partenaires de beuveries, nous traçames 182 kilomètres d’équations de ce genre: Chouffecafé + Orval au fût + schnouffe avec Lydia Lunch + faire danser des professionnelles de la turlute + gros moustachus en string + brumisateur à poppers = grosse rigolade assurée. Et Pulitzer en option. Ca n’a évidemment pas tout à fait été comme ça. Première fautive: la météo. Il faisait en effet plutôt agréable quand on a quitté Bruxelles mais deux bonnes heures et 5678 nids de poules plus tard, cela gelait grave des babouches, comme dirait Luc Trullemans. Ciel bas, vent polaire, atmosphère très étrange, à la Twin Peaks. A Arlon, on a bien marché vingt bonnes minutes avant de croiser le premier être vivant qui ne soit pas un corbeau. Ces bars qui avaient l’an dernier eu raison de ma déontologie journalistique étaient tous fermés, certains carrément en faillite. Je n’ai pas retrouvé celui qui servait la ChouffeCafé (phrase culte: « Ce n’est pas grave que tu n’aimes pas le café, il n’y a pas plus de café là-dedans que de zboubs dans le Zizi Coin Coin! »). On n’a pas non plus reniflé la moindre trace du Salon de l’Erotisme, mais il est vrai qu’on n’a pas cherché longtemps, vite rabougris par les vents réfrigérants. On est donc retourné au seul endroit chauffé et habité de notre connaissance: la salle. Pour se rendre compte que notre soirée allait plus ressembler à celle d’un Dave embarqué dans un gala de province qu’à la Grande chasse au requin de Hunter S. Thompson.

J’ai été pris en charge par le responsable du soir, un petit type désagréable looké comme Monsieur Geerinck, professeur de biologie à l’Athénée Fernand Blum vers 1983: le même collier de barbe, la même casquette de tweed. Le garçon m’explique que je vais jouer sur la petite scène mais, ce faisant, me désigne de la tête la sortie de secours et un moment, je pense qu’ils ont calé la cabine DJ dans l’escalier. Il m’emmène backstage, où j’ai une loge à mon nom, mais n’autorise pas mes deux amis à me suivre, question de sécurité. Dans une autre loge, Lydia Lunch et son band, des Français, sont interrogés par une télé locale. Je peux dîner avec eux, si je veux. J’ai un souvenir tellement désagréable de Lydia Lunch, déjà croisée backstage au Magasin 4 en 2011, alors qu’elle faisait sa diva imbécile pour des chocolats, du Cognac et de la cocaïne, que je préfère décliner. Icône trash ou pas, c’est typiquement le genre de personne avec qui je pourrais m’engueuler. M’engueuler grave. Le raconter ferait éventuellement un très bon papier mais là, je suis déjà totalement en mode Dave: gelé, assoiffé, affamé, pressé d’en finir, à 1000 années-lumière de penser écrire. Sur la table de ma loge, il y a des Cara Pils, des cookies, un petit paquet de chips du Colruyt, deux bouteilles d’eau minérale et UN mini Mars. Est-ce que pour autant je tape un scandale? Non. Je dis merci, je mets le tout dans mon sac et je rejoins mes amis au bar, histoire de commencer à s’entamer à la Diekirch. We call it humbleness, Miss Lunch. But, yes, I must admit: Cara Pils is an awful beer for bums, white rastas and punks with dogs.

L’Entrepôt est un ancien bâtiment douanier, nous apprend un speech de politicien, le bourgmestre sans doute, censé marquer l’ouverture des festivités. Il a ici transité du tabac, des diamants, des richesses de nos anciennes colonies, ce qui est en soit une ouverture sur le monde. La culture aussi, est une ouverture sur le monde, continue le bonhomme. « On se croirait au Togo », persiffle l’un de mes séides et il est vrai que le politique fait dans la dentelle lyrique façon Mobutu, insistant bien sur le soutien qu’il apporte au festival, se gargarisant d’une grande sympathie pour les formes d’expression nouvelles. C’est d’autant plus marrant que quelques minutes plus tard, sa mine s’allonge considérablement alors que s’exprime justement la forme musicale nouvelle des Soumonces, un groupe expérimental il est vrai un poil pénible, aussitôt par nos soins rebaptisé Post-Rock for Dummies. Comme déjà avoué plus haut, moi, c’est le génie de Lydia Lunch qui m’a toujours échappé. J’ai pu aimer certains de ses disques mais je n’ai pas la moindre estime pour le personnage, plus égocentrique que pertinent, aux postures moins punk et rebelles qu’au fond tout simplement vulgaires. Ce n’est que mon avis personnel et manifestement, il n’est pas partagé par la petite centaine de personnes venues la voir prester avec son nouveau backing band, le Putan Club. La disposition scénique est très originale, dans le sens où le groupe est mêlé au public, au sol et dispersé, et non pas sur scène en bloc. La musique est brutale, bestiale, amélodique, et la Mère Lunch nous fait dessus son vieux numéro de grande prêtresse no wave. Cela me laisse plus frais qu’une djellabah dans la Médina (Trullemans, toujours) mais semble assez bien captiver l’assistance, gotha rock régional fait de quinquas habillés de noir, de jeunes rockabillys fans des Smiths mais aussi de curieux qui sont visiblement entrés là parce qu’il y faisait chaud et que la bière y était fraîche. Soirée rock, punk, new-wave, radicale ou pas, l’un de ces gros rigolos viendra plus tard me demander le plus sérieusement du monde si je peux inclure Get Lucky de Daft Punk dans mon DJ set. Qui aura donc quant à lui été très Dave. Des tubes, de l’émotion. Une grande générosité. La marque d’un professionnel qui a su rester simple. A l’écoute de son public. C’est déjà ça. Pour un meilleur article, on réessayera l’année prochaine.

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