Serge Coosemans

Anyone who knows what love is will understand

Serge Coosemans Chroniqueur

Malgré un enthousiasme guilleret et adolescent à l’idée d’aller voir Simian Mobile Disco et Miguel Campbell au Libertine Supersport, Serge Coosemans n’a pas eu beaucoup de remords à rester finalement loin de la discothèque. Sortie de route, S02E21.

« Alors, on y va ou quoi, à ce Libertine Supersport? » Trois heures du matin, samedi, c’est la question que je pose, guilleret, enthousiaste, à la cantonade, et ce sont trois visages placides mais consternés qui se tournent vers moi et me rétorquent d’une seule voix: « ben, non ». Ma première réaction est dictée par ma conscience professionnelle, en meilleur état qu’on ne le pense: « zob, il va encore falloir m’adonner aux cabrioles et aux pirouettes pour écrire ce Sortie de route sans avoir été sur le terrain. » Ensuite, s’abattent dans ma caboche déjà bien en orbite les cartes de la culpabilité. Rappeler à mes amis que cela fait bien 10 jours que l’on planifie cette teuf avec Simian Mobile Disco et Miguel Campbell. Que l’on s’est excités sur cette perspective comme des shampouineuses animalières devant un beau spécimen de chihuaha lavande à poils longs. Chauffés à coups de clips sur nos walls, de mix downloadés histoire de se mettre en jambes. Qu’on s’est même abaissés à jouer des performances de geishas sociales afin de s’incruster sur la guest list. La soirée à ne pas rater, tout ça. Que le jour dit, malgré le froid, on s’est foutu aux pieds des chaussures italiennes en daim qui recroquevillent les orteils et font mal aux talons. Et, surtout, que depuis quelques heures, on se charge comme des mulets polonais: vodka, vin blanc, etc… Et tout ça pour quoi? Malgré toute cette ardente excitation et cette mise en bouche interminable, décider au dernier moment de ne pas y aller? Et alors, fieu?, comme disait l’autre.

L’affaire est d’autant plus bouffonne qu’afin de justifier le « niage » de cette soirée, nous tenons exactement le même discours que les gens qui détestent fondamentalement les discothèques. Trop de monde. La musique va trop fort. C’est trop cher. Je n’ai pas envie de passer le reste du week-end à jouer au Commandant Cousteau dans la cuvette des WC. On va passer pour de vieux pères ringards à la recherche de leurs filles fugueuses. Des apprentis DSK. Simian, c’était mieux avant. Le Libertine Supersport, c’est La Doudingue avec de la meilleure musique. Trop de chemises à carreaux, de blondins de Waterloo. On attend d’ailleurs toujours l’éléphant à 4 heures du mat. C’est n’importe quoi. Semaine de taf de ouf, assez crevé. Les boîtes de nuit, c’est pour les ados, qu’ils fassent des expériences. Se fassent un peu cogner, apprennent à vomir et criser d’une capote trouée. Si à 30 ans passés, t’y vas encore, c’est de la pochetronnade ou alors, c’est que tu ne sais pas quoi faire d’autre de ta vie.

C’est vrai que le samedi soir, je ne sais pas quoi faire d’autre de ma vie, à part live tweeter Ruquier et mater des films avec Hugh Grant en mangeant des chips. D’où d’ailleurs le recours régulier à l’ivrognerie domestique entre gens de bonne compagnie. Malgré tout mon baratin sur l’aspect culturel et social du clubbing, je suis une nouvelle fois bien là, dans cet appartement, en plein milieu de la nuit, démissionnaire de toute activité un brin plus sociale que l’amitié proche et virile. Tellement bien que j’en viens moi aussi facilement à me dire que fondamentalement, je m’en tape de Simian. Ce n’est pas Sandwell District, Mondkopf ou Prurient. Ce n’est pas chaud-boulette en 2013. It’s the Beat me semble même être sorti à la mort de Pie XII, il y a un million d’années. Totalement out, en fait, Simian. Il y a sinon quelque-chose de puissamment dégénéré à mettre en veilleuse une bonne discussion entre amis pour aller s’abrutir sur de la techno, musique que j’aime d’ailleurs surtout écouter au casque en écrivant, dans les trains et sur autoroute.

Pops, fait le bouchon de la cinquième bouteille et en quelques secondes, c’est comme si cette minute d’hésitation et de recherche de justifications, n’avait jamais existée. C’est alors que je reçois l’appel d’une jeune femme qui, adolescente, se demandait s’il était normal d’estimer l’idée d’une soirée en discothèque aussi consternante d’ennui que potentiellement anxiogène, craignant ne pas être en phase avec sa génération au vu de sa parfaite indifférence pour le boumboum dans un hangar constellé de ploucs. Une vision partagée par beaucoup, de fait, qui voient normes et cirque pathétique là où d’autres fantasment transgressions et modifications de consciences. Cette brave dame n’a cependant aujourd’hui rien d’une triste princesse et me raconte d’ailleurs au fil d’un discours plus ou moins articulé avoir exagérément abusé de champagne, de vin blanc et de mojitos en rigolant beaucoup dans un bistrot un peu interlope (un peu seulement). Une soirée donc pour elle aussi très blablateuse, au son d’une musique agréable mais à laquelle il était recommandé de ne pas aller trop fort, sous peine de ne plus s’entendre parler. L’attrait de la conversation voulue sophistiquée plutôt que l’arrache-tronche au pied-de-biche, en d’autres termes. Encore qu’au bout du compte, l’effet est le même qu’une nuit de déglingue sous BPM. Cul par-dessus tête, vols planés dans les chaises déjà rangées du bar en voie de fermeture, excuses interminables au personnel de se montrer aussi pochetronne. J’en connais qui ressortaient plus dignes et clairs du Boccaccio le lundi après-midi après s’y être enfermés le jeudi soir.

Le lendemain, nous déciderons d’ailleurs de nous construire un beau et grand château avec tout le bois de nos gueules respectives. Outre que les extrêmes se rejoignent, s’impose alors une autre idée pernicieuse et même quasi blasphématoire dans le cadre d’une telle rubrique. Celle, bien propagée par les groupes post-punks, que les discothèques ne sont en fait rien d’autre que de gros bunkers où aller boire, se battre et baiser, et que c’est pour rendre cette activité plus respectable que s’est créée une culture facile et survendue. Comme le chantait Gang Of Four: faire du profit en te faisant oublier les capotes dans ta poche. Se blinder la caboche de culture jusqu’à développer un ulcère. Nous admettrons qu’à quelques nuances près, tout cela ne vaut ni une bonne conversation, ni une grosse murge décomplexée. Nananère.

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