Alabama Shakes: on dirait le Sud

© David A. Smith

Du rock sudiste teinté de soul vintage: c’est dans les vieilles casseroles qu’Alabama Shakes fait bouillir son excellent 1er album, gueulé par une formidable chanteuse.

D’abord, un détail qui n’en est peut-être pas un: sur la table des interviewés, deux bouteilles de Westmalle. De passage par Bruxelles, Brittany Howard et Heath Fogg se font plaisir, non pas avec de la pils pissée au fût mais bien avec une trappiste longue en bouche. À des milliers de kilomètres de chez eux, les deux Alabama Shakes ne changent pas de créneau: roots et authentique.

Depuis quelques mois, la rumeur enflait: Alabama Shakes a tout pour réussir. Les chansons, le son r’n’b sixties et surtout une chanteuse phénoménale pour alimenter le buzz. « À l’automne dernier, raconte le guitariste Heath Fogg, il a fallu se décider. Les dates de concert commençaient à s’accumuler. On a dû quitter notre boulot. De toute manière, si on ne l’avait pas fait, on aurait bien fini par se faire virer (rire). » Brittany Howard travaillait par exemple à la Poste du coin. C’est elle qui est au centre et à la base du groupe. Accent rond et légèrement chuintant du Sud, elle raconte les débuts: « Je devais avoir 16, 17 ans. Cela faisait un petit temps que j’écrivais mes chansons. Au collège, j’ai croisé Zach (Cockrell, ndlr). On allait au cours de psychologie ensemble. Il avait un t-shirt At The Drive-in, groupe que personne ne connaissait autour de moi. Je savais aussi qu’il jouait de la basse. Donc j’ai voulu lui faire écouter mes trucs, des bouts de morceaux enregistrés avec un micro dégueu relié à mon ordinateur, et travaillés avec un logiciel pourri (rires). Je voulais savoir ce qu’il en pensait. »

Les deux commencent à bosser ensemble, rejoints par le batteur Steve Johnson, rencontré dans le magasin d’instruments du coin. Heath Fogg s’associe au groupe un peu plus tard. « Il avait son propre band, qui fonctionnait pas mal. Un jour, il est tombé sur l’une de nos démos et nous a proposé d’ouvrir pour lui, lors d’un prochain concert. C’était un gros truc pour nous. » Problème: les Shakes, comme ils s’appellent encore alors, n’ont que quelques titres à proposer. Ils se mettent donc à bosser des reprises pour étoffer leur set. « C’est là que Heath est arrivé pour nous donner un coup de main. Sur les covers soul, par exemple, il reprenait à son compte les parties de cuivre. » Batterie, basse, guitare: le compte est bon. Les Alabama Shakes sont lancés.

Sweet home Alabama

Le rock a toujours aimé la géographie. Surtout quand elle alimente sa propre mythologie. Les Alabama Shakes affichent ainsi leurs origines dès le fronton. Heath Fogg: « C’est juste qu’on aime ce genre de nom de groupe, on a toujours trouvé ça cool: Memphis Minnie, les Detroit Cobras, les Tennessee Tree de Johnny Cash… » Les quatre Shakes viennent précisément d’Athens, petite bourgade historique de quelque 20 000 habitants, pas beaucoup plus. Brittany Howard: « C’est un coin comme les autres, assez calme, avec pas mal de vieux bâtiments, des vaches, des collines… » Une importante centrale nucléaire aussi. Le batteur Steve Johnson y a notamment travaillé. En 1975, un début d’incendie y a bien causé quelques frayeurs -le « deuxième incident le plus grave de l’histoire du nucléaire américain », relève Wikipedia-, sans pour autant avoir marqué les esprits. Heath Fogg: « J’en ai vaguement entendu parler. Mais cela n’a pas dû avoir un gros impact. Par contre, pas loin de là, un silo à grains a bien explosé dans les années 70. Ado, j’ai été traîner dans les ruines. Le dôme s’était effondré, mais il y avait un écho génial. Aujourd’hui, il reste encore quelques tours à l’abandon. »

Mais il y a plus crucial pour comprendre le profil d’Alabama Shakes. Située à mi-chemin entre Birmingham et Nashville, Athens est traversée par l’Interstate 65. Il suffit de suivre le même axe pour tomber quelques kilomètres plus loin sur Muscle Shoals. Une bourgade paumée de plus, mais un nom incontournable pour tous les amateurs de musique américaine. C’est ici qu’ont été pondus quelques-uns des disques de soul les plus essentiels. Pas la soul « caramélisée » dans la pop comme la pratiquait la Motown de Detroit. Mais bien celle plus rugueuse et fruste du label Stax, à Memphis, ou Fame, à Muscle Shoals. Des exemples? Le When A Man Loves A Woman de Percy Sledge, The Dark End of the Street de James Carr, ou encore Land of 1000 Dances de Wilson Pickett, envoyé à Muscle Shoals par Jerry Wexler, le patron du label Atlantic, qui en fera de même avec Aretha Franklin. Dans son ouvrage de référence Sweet Soul Music (éditions Allia), le journaliste Peter Guralnick cite Pickett débarquant au fin fond de l’Alabama: « Je n’arrivais pas y croire. En regardant par le hublot depuis l’avion, on voyait des gens qui ramassaient le coton. Je me suis dit: « Je ne descends pas de cet avion. Qu’on me ramène dans le Nord. » »

Thérapie soul

D’autres grands noms viendront également se perdre dans le coin: Joe Tex, Mavis Staples, Etta James ou encore l’immense Otis Redding. On ne peut s’empêcher de penser à lui et à des titres comme I’ve Been Loving You Too Long quand on écoute You Ain’t Alone ou Boys & Girls, deux des ballades présentes sur le premier album des Alabama Shakes. Le groupe se défend pourtant de jouer la carte rétro. C’est vrai que leur premier affiche autant de penchants soul ou blues sudiste (Lynyrd Skynyrd) que d’envolées « bombastiques » à la Arcade Fire (Rise To The Sun). « J’ai autant étudié(sic) Otis Redding que Daft Punk », insiste Heath Fogg. Ou encore AC/DC, ajoute Brittany Howard, qui avoue une admiration sans borne pour Bon Scott, elle qu’on rapproche habituellement plutôt de Janis Joplin. « Scott me fascine parce qu’il se fout de tout, il chante aussi fort qu’il veut. C’est la puissance pure. Comme Otis. Je ne pense pas qu’ils veulent impressionner qui que ce soit, ils font juste leur truc. »

Métisse aux joues de poupon, Howard porte des lunettes qui rapetissent encore un peu plus son regard. On l’imagine volontiers un peu gauche. Sur scène pourtant, ses prestations sont assurées, volcaniques. C’est bien elle qui achève de donner de la crédibilité au projet Alabama Shakes. Bien sûr, la formule rock sudiste-r’n’b du quatuor n’a absolument rien de révolutionnaire. Mais l’âpreté et la rage avec lesquelles Brittany Howard rugit des titres comme Heartbreaker ou I Ain’t The Same empêchent la musique du groupe de déraper, de glisser de l’archétype au cliché. La démarche n’est pas tant passéiste que classique. Balisée certes, mais authentique. On croit par exemple Howard quand elle chante sur le single Hold On: « Bless my heart. Bless my soul. Didn’t think I’d make it to 22 years old. » On lui pose évidemment la question: quelles cicatrices porte-t-elle pour avoir douté un moment d’arriver jusqu’à ses 22 ans? « Hmm, disons que je ne suis encore trop à l’aise pour parler de ça, si ça ne vous dérange pas. » Pas de problème. Plus loin, elle se contente encore juste de souligner, s’excusant du cliché: « Ces chansons tiennent vraiment de l’acte thérapeutique, elles me font du bien. » Elle n’est pas la seule.

Alabama Shakes, Boys & Girls, Rough Trade. En concert, le 30/04, au club de l’AB (complet), Bruxelles; et le 30/06, à Rock Werchter.

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