Watch Dogs: Quand le smartphone remplace (presque) l’Uzi

Watch Dogs © Ubisoft
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Watch Dogs prend le contrôle de Chicago et utilise ses infrastructures comme des armes. Plus inspiré dans son thème que Rockstar sur GTA V, le monde ouvert d’Ubisoft plonge dans un fascinant écosystème convoquant internet des objets, hackers et vie privée.

Stanley Kubrick avait souligné avec doigté et humour les failles de sécurité entourant le processus de lancement d’une arme nucléaire dans Docteur Folamour. Si bien que l’armée US avait sérieusement repensé le sien après avoir vu son long métrage. Quarante ans plus tard, Watch Dogs n’aura probablement pas la même portée. Mais à sa manière -très documentée-, le blockbuster événement d’Ubisoft plonge dans la vulnérabilité de nos nouvelles vies connectées, de l’Internet des objets et des smart cities. Planté dans un Chicago contemporain, ce monde ouvert à la Grand Theft Auto glisse ainsi entre les mains du joueur un smartphone prodige capable de piloter à distance feux rouges, rames de métro, pont-levis et bien d’autres infrastructures. Le tout pour transformer la ville en coéquipier de chaque instant.

« Watch Dogs n’est pas de la science-fiction ni même du cyberpunk. Comme William Gibson (auteur culte qui a créé le genre, ndlr), nous nous inspirons des évolutions de notre société à travers ses innovations technologiques. La démarche est la même mais le résultat diffère. L’idée centrale d’une smart city est ainsi réaliste puisque des villes comme Londres ou Rio de Janeiro -pour les JO de 2016- y travaillent activement. On a avancé en se demandant si chaque acte était possible, plausible, ce qui est le cas puisque de nombreux éléments urbains connectés sont piratables séparément », détaille Jonathan Morin, bouillonnant directeur créatif du projet chez Ubisoft Montréal. « Le fait de le faire via un seul point d’entrée, un téléphone, est faisable techniquement. On ne voulait surtout pas glorifier l’idée de tirer sur des gens en rue avec un flingue -même si c’est possible. Ce n’est pas le propos de Watch Dogs. »

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Le smartphone remplace donc (presque) l’Uzi dans les rues des sept quartiers de la mégapole du Midwest. Enfoncé dans une vendetta où il piste les meurtriers de sa jeune nièce, Aiden Pearce en use et en abuse pour prendre l’avantage sur le terrain. Cette sorte de télécommande universelle qui détecte en permanence (en les mettant en surbrillance) les nombreuses failles de sécurité entourant le hacker surdoué lui permet, par exemple, d’activer l’élévateur d’une zone de travaux pour échapper à des poursuivants.

Futurs immédiats

Blesser un groupe d’adversaires en déclenchant l’explosion d’un condensateur électrique ou les désorienter en créant un blackout électrique temporaire compte également parmi les nombreuses options de hacking. Evoquant parfois les pouvoirs surnaturels de foudre sur inFamous, ce gimmick activable d’une simple pression de touche sur le joypad s’applique également derrière le volant. Lors d’une course-poursuite, lever des bollards à l’instant T ralentit l’adversaire comme une peau de banane dans Mario Kart.

Frigo avertissant son propriétaire qu’il manque d’oeufs, voiture autonome enlevant le stress dans les embouteillages, bracelet mesurant les UV reçus sur la peau et radio-réveil surveillant le sommeil… D’ici à 2020, 24 à 30 milliards d’objets devraient se connecter au Web et donc au smartphone. Soit une moyenne de quatre items par habitant sur Terre. « La mise en ligne massive de nos informations personnelles et la connectivité globale d’une infrastructure urbaine sont les deux thèmes clés que nous avons tenté de traduire en gameplay, souligne Danny Belanger, lead game designer de cette contre-utopie fascinante. Mais on ne veut pas dénoncer la connectivité, on la met en lumière. Connaître les préférences de quelqu’un pour l’aider à faire des choix peut être bénéfique. Mais les risques de dérapage sont bien là. »

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Réalité très augmentée

Liées à un emploi immédiat du piratage du CTOS (le système d’exploitation gérant toute la ville de Chicago), les séances de hacking précitées ne renouvellent pas vraiment le gameplay façon GTA dont le jeu s’inspire. Heureusement, Ubisoft parvient à développer cette particularité au fil d’une série de missions entre infiltration et tactique. Plutôt que de foncer tête baissée sur l’ennemi, on observera ainsi les façades et l’intérieur des bâtiments de la cité, tous criblés de caméras. Le tout pour voir avec leurs yeux et « sauter » de l’une à l’autre pour explorer des zones inaccessibles ou trop dangereuses.

Appréhender une zone de combat de différents points de vue, tout en restant planqué, à l’abri des balles, happe et ouvre le champ lexical offensif. Aux commandes de ces yeux électroniques, le gamer peut en outre déclencher à distance une grenade que porte un ennemi ou activer une alarme de voiture pour détourner son attention. « Nous avons fait appel à Kaspersky, des spécialistes du piratage informatique qui nous ont aidés à vérifier si les actions de piratage qu’on utilisait dans le jeu étaient réalisables et si le vocabulaire qu’on employait était correct. Ils nous ont aussi épaulés dans le choix d’un habillage visuel crédible pour les lignes de codes qui défilaient, sourit Morin. On voulait à tout prix éviter les fausses interfaces informatiques des films des années 90 -je pense à Independence Day notamment. Nous sommes déjà des programmeurs à la base donc ils n’ont pas trop trouvé d’erreurs. »

Egalement utilisées lors de phases de puzzle game où il s’agira de retracer le parcours suivi par un câble électrique pour ouvrir une porte bloquant la progression du joueur, les balades désincarnées de caméras en caméras prouvent qu’Ubisoft Montréal a creusé le thème du hacking avec talent. En pleine rue, chaque passant s’accompagne en outre d’une bulle signalétique déroulant des infos sur sa vie privée en réalité augmentée. « La popularité des réseaux sociaux prouve que les gens s’intéressent plus aux bénéfices immédiats que leur apporte la technologie qu’à leurs dangers potentiels, poursuit Jonathan Morin. On se sent plus proches du Meilleur des Mondes d’Huxley que du 1984 d’Orwell. » Vertigineuse, malsaine et parfois drôle, cette incursion permet de pirater certaines conversations téléphoniques de la cité. Le tout pour parfois tomber sur des psychopathes en devenir que le joueur neutralisera lors de missions secondaires. L’ombre de l’Inspecteur Harry joué par Clint Eastwood et des films de « vigilante » plane sur Watch Dogs.

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Une soeur hystérique, un ex-ami hacker qui l’a kidnappée, des mafieux, des lascars de cité, un sidekick caricatural, un groupe de hackers vaporeux, une pirate tatoueuse… Les personnages secondaires de WD tissent une toile narrative entendue autour du joueur. Déployant un scénario entre drame familial et complot orwellien à grande échelle, Watch Dogs s’autorise toutefois quelques réflexions intéressantes sur la perte d’un proche. On est malheureusement loin d’un L.A. Noire ou d’un Heavy Rain en termes de jeu d’acteur. D’autant que le visage monolithique d’Aiden rejoint sur certains points la paralysie faciale d’un Steven Seagal.

N’est pas Tommy Vercetti (de GTA Vice City) qui veut. Difficile donc de s’impliquer corps et âme dans le monde de Watch Dogs. Gonflant une durée de vie estimée à une centaine d’heures, ses missions/activités secondaires ne poussent pas à l’exploration urbaine. Mission de livraison kamikaze, tour de communication à pirater, séances de parcours à pied acrobatiques inspirées d’Assassin’s Creed: Ubi se coupe pourtant en quatre pour casser la structure -pas toujours bien rythmée- de sa campagne solo.

« De nombreux développeurs créent des jeux contrôlant l’expérience du gamer. Une sorte de partition écrite à l’avance dont on ne peut dévier. Je ne suis pas de cette école. Les mondes ouverts à la GTA permettent de développer l’idée inverse, justifie Jonathan Morin. Celle de créer un instrument dont nous n’aurions pas le contrôle à 100%, quelque chose qui permette au joueur de s’exprimer à travers ses actions. » Binge drinking, bonneteau, échecs géants et autre fabrication d’explosifs divers croisent ainsi des mini-jeux en réalité augmentée où l’on parcours la ville à bord d’une araignée mécanique échappée de Ghost in the Shell (le film) ou d’une voiture empruntée à Carmageddon. Le clin d’oeil décroche un sourire. Pas un like à 100% sur Facebook. A l’image de la production dans son ensemble.

  • WATCH DOGS, ÉDITÉ PAR UBISOFT ET DÉVELOPPÉ PAR UBISOFT MONTRÉAL, ÂGE 18+, DISPONIBLE SUR NINTENDO WII U, PC, PLAYSTATION 3, PLAYSTATION 4, XBOX ONE ET XBOX 360. ***

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