Laurent Raphaël

Le meilleur des mondes

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Chaque jour, on en mesure les effets, parfois bénéfiques, souvent dévastateurs. Ça passe comme un vote de repli sur soi dans les riants alpages suisses parce que personne ne fait le rapprochement entre ces événements qui surgissent aux quatre coins de la buzzosphère.

L’édito de Laurent Raphaël

Quel lien entre le projet des actionnaires de Libé de transformer le journal en enseigne coiffant un resto, un bar et un centre de production de contenus prêts à l’emploi pour tous les canaux de diffusion, le énième rachat par Google d’une start-up spécialisée dans la recherche de photos, et la promesse de pouvoir d’ici peu graver ses propres vinyles à la maison? A première vue, pas grand-chose. Et pourtant, tous ces épiphénomènes ont la même origine, le même germe: les nouvelles technologies.

Libération est dans la mouise parce que les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) ont détourné massivement le flux des lecteurs du papier vers le Net (sans compenser les pertes), Google gave son moteur de recherche d’intelligence artificielle pour le rendre toujours plus redoutable, et la machine à fabriquer des 33 Tours n’est qu’une variante de l’imprimante 3D, le « next big thing » techno.

Par habitude, par vanité ou par aveuglement, l’homme pense toujours piloter son destin une main sur le volant, un coude sur le rebord de la vitre, peu importe la météo et les nids de poule. Sans se rendre compte que toutes ces chicanes numériques le dévient de sa route, pire, lui brouillent la vue et l’esprit, chaque innovation étant potentiellement une petite bombe cérébrale à retardement.

Nouvelles technologies: chaque innovation est potentiellement une petite bombe cu0026#xE9;ru0026#xE9;brale u0026#xE0; retardement.

Il faut être bien naïf pour penser qu’être ventousé douze heures d’affilée à son écran, que renifler en permanence le derrière du monde et toutes ces autres « petites » perturbations comprises dans le mode de vie 2.0 n’auront pas une incidence sur nos comportements d’abord, sur la société ensuite. A côté des effets bénéfiques, confort amélioré, gain de temps et de productivité, accès à l’information, créativité dopée, de nouvelles dépendances, de nouvelles pratiques déviantes, de nouvelles phobies viennent allonger la liste des effets secondaires.

On n’a pas encore beaucoup de recul pour en évaluer la portée exacte mais il suffit de se pencher sur le cas basique du traitement de texte, ce bon vieux Word, pour se faire une petite idée. Dans le Nouvel Obs, Pierre-Marc de Biasi, chercher au CNRS, détaillait dernièrement l’impact de l’arrivée du logiciel dans nos vies. Suppression des simulations mentales qui précèdent l’écriture et structurent la pensée, sensation que tout pourra toujours être effacé, d’où une désinhibition accrue à l’écrit, accessoirement disparition des brouillons numériques des futures grandes oeuvres littéraires, chacun a déjà été reformaté, et la mémoire de l’Histoire remodelée, par cet inoffensif éditeur de textes.

Ce n’est évidemment pas nouveau en soi. Depuis qu’il a ramassé un caillou pour l’enfoncer sur la tête de son voisin et en tirer profit, l’Homme court derrière les outils qui amélioreront son ordinaire, son confort, sa puissance, son pouvoir d’achat. Aujourd’hui, le département R&D est le carburant qui fait tourner la machine ultra libérale. Et ce sont les entreprises qui innovent le plus, Apple, Facebook et consorts, qui dominent le monde. Le souci, c’est qu’on n’a plus le temps de digérer, d’apprivoiser une nouvelle acquisition qu’une autre apparaît déjà sur le radar. Même quand on fait son jogging, on a plus de capteurs qu’un malade en phase terminale. D’où cette impression d’être enfermés dans le tambour d’une machine à innover coincée en mode essorage. Dont on peut craindre qu’on ressortira un jour avec le cerveau rétréci…

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