Laurent Raphaël

L’édito: Bye-bye Facebook

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Facebook, le monde de l’emporte-pièce, du prêche de convaincu et de l’admiration égotiste en comités auto-satisfaits », peut-on lire sur la page Facebook de la librairie bruxelloise Ptyx.

« Facebook c’est inutile. Alors que le réseau social nous permit, pour partie, de faire connaitre et le blog et la librairie, ainsi que de nous faire découvrir et des auteurs et des livres, il est devenu, « contraintes mercantiles » obligent, une inutilité chronophage. (…) Qui plus est -et là est peut-être, pour nous l’essentiel-, cela fait des lustres que nous n’avons plus rien découvert de vraiment intéressant grâce à Mark Zuckerberg. » Voilà ce qu’on peut lire sur la page Facebook de la jeune et dynamique librairie bruxelloise Ptyx qui a donc décidé de se passer de la lanterne magique digitale. Pas de technophobie primaire, pas de bashing haineux dans cette épitaphe, juste le constat lucide et pragmatique que la colonne des moins l’emporte désormais sur la colonne des plus.

Avec toutefois aussi la sensation amère de s’être fait berner. « Sous couvert d’échanger, on ne fait que communiquer, sous prétexte de défendre des convictions, on n’étend que de plates opinions. Et d’outil, ce monde virtuel devient celui de l’emporte-pièce, du prêche de convaincu et de l’admiration égotiste en comités auto-satisfaits. » Autrement dit, la promesse qui figure sur l’emballage d’un monde idéal et cool où la parole circule librement et sans manipulation ne tient pas la route. Sous couvert d’agora numérique plus démocratique que la République de Platon, on nous fait les poches et on nous rince le cerveau à l’eau de Javel.

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Ce geste de protestation qui ne fera pas chuter le cours de l’action du géant américain traduit une lassitude grandissante envers le mirage aux alouettes virtuel. L’emballement initial s’effrite, remplacé par une colère qui prend parfois des accents alarmistes. Comme dans le nouvel album de Moby, These Systems are failing. Le plus vegan des artistes new-yorkais, dont la musique a emballé les campagnes publicitaires d’Apple, n’est sans doute pas le mieux placé pour faire la morale, mais sur le fond, le message cinglant qu’il livre sur notre époque cadre assez bien avec un sentiment diffus de ras-le-bol et d’écoeurement dont le film phénomène Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion constitue une sorte de manifeste mainstream. L’hystérie technologique n’énerve plus seulement les ennemis rances du progrès, les pisse-vinaigres chroniques et les néo-conservateurs inquiets pour leurs privilèges, même les jeunes gens modernes commencent à en revenir.

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Le clip du titre Are You Lost in the World Like Me? est un petit bijou de dessin animé signé Steve Cutts. Dans une esthétique rétro à la Betty Boop, la créature des studios Fleischer, on y suit un personnage perdu au milieu de fantômes obnubilés par leur smartphone, lesquels ne communiquent plus entre eux, n’éprouvent plus aucun sentiment, et ne se rendent pas compte qu’ils foncent tout droit vers le précipice. Une allégorie de la chute déjà présente chez Stromae (la vidéo de Carmen par Sylvain Chomet), là aussi pour dénoncer ce monde hyperconnecté qui a perdu ses valeurs à force d’adorer le Veau d’or numérique. Certains intellos joignent leur voix à la contestation en germe. Comme le piquant Paul Ardenne, écrivain et historien de l’art, qui écrivait récemment dans Libération: « Nous vivons à l’ère de l’industrie culturelle, qui vise l’opinion de masse consensuelle, la convention et la normalisation du goût. » Quel rapport avec le Net? Sur le terrain culturel comme sur le terrain politique, le tout-numérique a imposé un formatage. Il faut faire court, spectaculaire, émotionnel, pour que le message puisse tenir en 140 signes, en une image choc ou dans une vidéo de quelques secondes. En résulte un appauvrissement général du sens.

Même si le tableau est sombre, tout n’est pas à jeter évidemment. Mais il serait naïf de compter sur la responsabilité individuelle pour dompter l’emprise de ces nouveaux stupéfiants sur les consciences et sur le modèle économique. Et ce n’est pas qu’une image. Les écrans agissent comme des drogues dures sur le cerveau, c’est prouvé. Avec les mêmes risques de dépendance (la preuve, vous lirez peut-être ce billet via FB…).

Si la méthode douce prônée par Demain ne fonctionne pas, il faudra peut-être envisager de légiférer pour, par exemple, limiter la consommation de cocaïne électronique. Mais quel gouvernement aura ce cran? Peut-être super Magnette, qui brave déjà seul la Flandre, le fédéral, l’Europe et le Canada dans le dossier Ceta… Vite, une page Facebook pour l’inviter à enfourcher ce cheval de bataille!

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