Jeux vidéo, le business de la nostalgie ludique

Flashback (1992) vs Flashback (2013) © DR
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Flashback HD complète une longue liste de remakes désormais motivés par la nostalgie. Une plongée dans l’âge de l’insouciance du jeu vidéo. Making-of en compagnie de Paul Cuisset, son père.

Du neuf avec du vieux. Les remakes de jeux vidéo fleuraient bon la démarche éditoriale purement stratégique jusque dans les années 2000. Pour étoffer son catalogue de lancement en 2002, la première Xbox pillait ainsi le portfolio d’exclusivités (1) de la Dreamcast de Sega, alors en pleine déroute. Rallonger la durée de vie commerciale d’un titre passait également par son portage, d’une génération de console à l’autre. Le premier Resident Evil sur PlayStation devenu par la suite Resident Evil Rebirth sur GameCube en est un exemple heureux. Une décennie plus tard, le vieillissement de la génération Y et l’avènement du téléchargement de jeux payants (sur consoles et smartphones) offrent une nouvelle légitimité aux remakes: la nostalgie. Et peut-être aussi la transmission d’un patrimoine auprès des kids. Merci le rétrogaming.

Castle of Illusion (1990)
Castle of Illusion (1990)© DR
Castle of Illusion featuring Mickey Mouse (2013)
Castle of Illusion featuring Mickey Mouse (2013)© DR

Le grand retour des années 80 et 90 vibre dans les manettes. La semaine dernière, Duck Tales Remastered se rappelait (sur 360 et PS3) au bon souvenir des fans de la NES. Les consoles 16 bits ne sont pas en reste avec l’arrivée de Mickey et sa clique sur le remake de Castle of Illusion ce 4 septembre. La 2D originelle de la bande à Picsou est affinée jusqu’à ressembler à un film d’animation. Désormais baptisé Castle of Illusion Featuring Mickey Mouse, le jeu prend du relief tout en gardant le gameplay d’époque en 2D. Classique qui a marqué l’imaginaire des gamers de plus de 30 ans, Flashback de feu Delphine Software a lui aussi choisi la voie médiane de la 2,5 D pour son édition « HD ».

De Blade Runner à Running Man, ce titre culte des années 90 récite encore ses classiques SF avec un talent rare. Amnésique, Conrad B. Hart y découvre une terre envahie de répliquants et devra, entre autres moments forts, participer à une téléréalité sanglante. Le jeu évolue toujours au fil d’une prise en mains 2D identique au platformer original (voir chronique dans le Focus de cette semaine), mais agrémentée de décors aux effets de perspectives en trois dimensions. Une bonne idée déjà vue dans le récent reboot très réussi de Xcom: Enemy Unknown mais aussi dans le remake de Prince of Persia Classic. Radicalement différente de celle d’Eric Chahi sur Another World 20th Anniversary Edition, la démarche flirte donc avec la 3D fatale à Fade to Black, la suite de Flashback sortie en 1995.

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Filon rétro nippon

« J’espère que les fans ne m’en voudront pas », se défend Paul Cuisset, créateur et figure emblématique de la french touch dans les jeux vidéo. « Ma démarche n’était pas nostalgique mais plutôt égoïste. Juste l’envie de réaliser la vision du jeu que j’avais à l’époque mais qui était impossible vu les limitations techniques. » Si les remakes d’Another World et Flashback excitent les core gamers, face au Japon l’Occident reste toutefois assez discret en la matière. Nintendo, Konami et Capcom sont eux passés maître dans l’art du recyclage intempestif de Zelda, Metal Gear Solid et Street Fighter.

Face à Sega qui ne gagne plus sa vie que par des rééditions, l’autre champion toute catégorie, Square Enix, ne joue pas que sur la fibre nostalgique de ses fans. Vu l’arrivée tardive de Final Fantasy en Europe, l’éditeur ne cesse en effet de multiplier les rééditions des épisodes précédant le totémique VII. Le tout pour séduire des jeunes joueurs curieux des racines de la série. De quoi se frotter à un univers gaming qui n’a rien à voir avec celui de 2013. « Je me souviens de certains jeux où l’on dessinait des cartes sur des bouts de papier quadrillés pour s’y retrouver », sourit Paul Cuisset. « Ce plaisir a disparu. Les joueurs préfèrent l’instantanéité, l’action, le mouvement. C’est générationnel, les gens sont plus impatients qu’il y a 20 ans. L’apprentissage par l’erreur ne peut plus exister. Nous avons essayé de mettre tout ça en équilibre lors du développement de cette nouvelle version. Pas facile… »

Lié à l’objet, le business de la nostalgie ludique a toutefois du mal à prendre son envol vu sa nature dématérialisée. À côté, les rééditions d’albums rock historiques ou de films cultes cultivent en effet l’amour du bel objet (surtout en fin d’année). Autre frustration, on n’a jusqu’ici pas (encore) vu un Miyamaoto revisiter Sonic comme Peter Jackson l’a fait avec King Kong. Cuisset réinterprète en tout cas son jeu avec talent. « J’ai été très ému, la première fois que j’ai retrouvé Conrad dans la jungle. C’était un peu comme retrouver un vieux copain de classe. Ce développement de deux ans m’a vraiment touché d’autant que nous avons reconstitué une partie de l’équipe originale, soit trois graphistes et le programmeur de la version Amiga du jeu. » La nostalgie ne roule pas en sens unique derrière les manettes.

De Polnareff à Flashback

Flashback occupe une place de choix au panthéon des jeux vidéo au développement rocambolesque. Au début des années 90, Delphine Software, son studio, avait été chargé par son éditeur de pondre une adaptation pour joysticks du Parrain. Pas vraiment intéressé par Corleone et sa clique, Paul Cuisset a finalement déposé sur le bureau de son commanditaire un projet de platformer futuriste, amnésique et extraterrestre. « L’époque était plus souple, très différente. J’ai créé Delphine Software avec Paul de Senneville. Il travaillait dans la musique, c’était l’ancien manageur de Michel Polnareff. Les choses se faisaient donc de manière beaucoup plus rock’n’roll et naturelle. Les patrons de boîte de jeu étaient des créateurs, pas des businessmen », regrette Paul Cuisset. « Aujourd’hui, tout est codifié, il y a des études de marché. Le jeu est considéré comme un produit. »

  • (1) DEAD OR ALIVE 2, PROJECT GOTHAM RACING ET AUTRE JET SET RADIO.

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