Jeu vidéo alternatif

L’univers du gaming envisage enfin une vie commerciale au-delà des jeux mainstream avec des projets audacieux et adultes. L’Independent Game Festival 2010 de San Francisco en livrait les meilleurs exemples, entre noir et blanc, pixels, récits introspectifs et gameplays new age.

Près d’un demi-siècle après la naissance du mouvement hippie, San Francisco, cité US libertaire par excellence, est également devenue le récent berceau du jeu vidéo alternatif. Son Independent Game Festival (IGF) organisé parallèlement à la Game Developper Conference, accompagne ainsi l’explosion récente de l’indie gaming.

Inconnue des médias traditionnels, cette Nouvelle Vague vidéoludique repense depuis 4 ans à peine les codes rigides et photocopiés de l’industrie du jeu vidéo mainstream. Ici, on recherche des chemins de traverse face aux blockbusters triple A façon God Of War III. Avec pour carburant des idées fraîches s’efforçant d’élargir la palette des émotions pixélisées, de travailler des codes graphiques surannés, de repenser la durée des jeux ou d’explorer des styles ludiques expérimentaux.

Du haut de ses 19 ans, Tyler Glaiel savoure le deuxième prix qu’il vient de rafler à l’IGF (après celui reçu à l’Indiecade) pour Closure, jeu de plateforme 2D déployant avec style des trésors d’énigmes tout en illusions optiques monochromes. Le post-ado géant de 2 mètres survole au propre comme au figuré les jeux indés entassés à l’ouest des allées grouillantes du Moscone Center, discret palais d’exposition partiellement enfoui sous un parc du centre de Frisco.

« Je n’ai pas encore de vrai job », sourit le gamin précoce face à des game designers d’une trentaine d’années en moyenne. « Mais je ne dirai jamais oui à un éditeur. A moins qu’il me laisse 10 millions de dollars, les royalties et mes droits d’auteur. Ce n’est qu’un fantasme, l’argent n’est de toute façon pas la motivation de l’indie. »

De fait, le moteur de l’indie gaming puise sa force dans une nouvelle race de game designers et de programmeurs anonymes ayant plaqué des éditeurs mastodontes, ou plus rarement d’étudiants en fin de cycle. Plurielles, leurs approches courent du gaming classique à l’art gaming.

De l’hyper arcade Joe Danger au sophistiquéTuning. Dans tous les cas, des projets risqués qu’Electronic Arts ou Activision évitent de signer. Quitte à recycler certaines idées lorsqu’elles font mouche, à l’image du noir et blanc dans Mad World et Saboteur. « On prend tous les risques pour l’industrie du jeu vidéo classique qui n’hésite pas à nous piller »,fulmine Glaiel. Ou à racheter. Le prochain Portal 2 de Valve a ainsi débauché l’équipe indé de Tag The Power Of Paint pour doper son gameplay.

Nouvelle Vague bis

Quasi inexistants il y a plus de 5 ans, ces nouveaux indés capables de gagner leur vie sans éditeur se développent à la faveur de la généralisation des boutiques de jeux en ligne que les constructeurs ont ouvertes sur toutes leurs consoles, nomades et de salon. Du producteur au joueur, sans intermédiaire. Le schéma de distribution est bouleversé, de même que les techniques de développement (comme le Flash), nettement plus accessibles. Corollaire de cette indépendance logistique, le fond et la forme des jeux s’envolent vers des cieux plus avant-gardistes. Une Nouvelle Vague bis, rien de moins.

Signataires inconscients d’un Dogma pixélisé, ces Lars Von Trier du joystick sacraient cette année le pixel et le noir et blanc. L’heure est au minimalisme esthète, autant pour le contre pied que le budget, toujours ténu pour ces micro équipes. « Les adultes se lassent des grosses productions 3D du moment », soupire Jeppe Carlsen, créateur de Limbo (voir notre top 6), jeu star de cet Independent Game Festival auréolé des prix d’Excellence in Visual Artet de Technical Excellence.  » Mais nous ne travaillons pas en opposition au jeu vidéo mainstream. J’aime les vieux films expressionnistes allemands en noir et blanc et les films noirs américains. Suggérer le danger par des ombres fait beaucoup plus travailler votre imagination. C’est tout le but de Limbo. »

Ce jeu vidéo réinventé peuplé d’auteurs exprimant -parfois maladroitement- leurs émotions tranche avec le monolithisme des productions classiques, souvent tournées vers des sentiments de domination. Diluant toute direction artistique individuelle vu leur travail hyper collaboratif, les studios classiques cèdent ici la place à la vision d’une personnalité. « J’ai voulu aborder un thème proche de la vraie vie. L’héroïne principale de mon jeu, qui n’est pas un super héros, tombe dans le coma », lance Krystian Majewski, auteur solitaire de Trauma,jeu consistant à reconstruire une identité oubliée dans un univers alignant littéralement des photos de nuit toutes prises avec un appareil photo digital vintage. « J’ai passé beaucoup de temps dans les hôpitaux quand j’étais gosse et subi de nombreuses interventions, ce qui m’a marqué », précise Majewski. « Ce projet est vraiment introspectif. Jusqu’à la femme prêtant sa voix aux doublages qui s’intéressait de très près à mon projet depuis son accident de voiture. »

Autre production n’ayant malheureusement pas retenu les faveurs du jury de l’IGF, A Slow Year de Ian Bogost gagne les frontières de l’art gaming en explorant la philosophie new age de la fin des années 70. Un concept de jeu vidéo hyper pixélisé, total et radical, développé sur Atari 2600 qui axe son gameplay sur la méditation via 4 saisons à observer et à « ressentir ».

Du simple retro gaming qui pousse la blague un peu loin? « Je veux absolument éviter la nostalgie et le kitsch », lance toute barbe dehors Ian Bogost. « Les jeux vidéo des années 70 regorgent de conventions graphiques de packaging où la cover art préparait mentalement le joueur à l’expérience qu’il allait vivre, sans avoir de lien avec les graphismes du jeu en lui-même », souligne l’artiste.Un avant-goût du jeu en quelque sorte. Comme l’indie gaming est un avant-goût des titres qui cartonneront demain…

Michi-Hiro Tamaï, à San Francisco

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