Far Cry 3, l’île aux enfants perdus

© Ubisoft
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Far Cry 3 s’invite au panthéon des (rares) blockbusters ludiques s’inspirant du cinéma avec talent. Psychopathe charismatique, Vaas y cristallise les peurs de la génération Y. Making of d’un rite de passage sanglant.

Au cinéma et derrière les joysticks, les bad guys volent parfois le rôle principal. Vaas Montenegro, ennemi juré de Jason Brooke dans Far Cry 3 (lire la critique dans le Focus du 14 décembre), a déjà gagné sa place au panthéon des malfaisants mémorables du médium ludique. Ce trou noir autodestructeur dépasse même le magnétisme d’un Bowser (Mario) ou d’un Sephiroth (Final Fantasy VII), jusqu’à en devenir le personnage central. Ubisoft utilise d’ailleurs sa tête fêlée pour illustrer la jaquette du jeu et la promo qui l’accompagne. Une première dans le monde pro-héros du jeu vidéo, qui en dit long sur son charisme magnétique.

Secoué de tics drolatiques qui l’amènent à déverser de l’essence autour de ses victimes au fil d’une grâce macabre, Vaas aime jouer avant de tuer. Il tape la discute amicalement, palabre sur la définition de folie. En boucle. La voix douce et les pupilles dilatées, il exécute ses sentences entre gâchette, échafaud et parpaings pieds dans l’eau. Le fou fascinant maîtrise l’art de la mise en scène criminelle. Et taquine sans peine le niveau de Samuel L. Jackson dont la tirade biblique (littéralement) assassine a marqué Pulp Fiction.

La vengeance du frère de Brooke assassiné par Vaas (sous les yeux du joueur) et le sauvetage de ses amis (pris en otage par ce dernier) servent de prétexte à Jeffrey Yohalem, le scénariste de Far Cry 3. « Avant, la société active accueillait les jeunes travailleurs à bras ouverts. Aujourd’hui, vu le vieillissement croissant de la population, trouver un travail à 20 ans, malgré des études, est un cauchemar », lâche l’écrivain qui a également scénarisé la toile complexe d’Assassin’s Creed: Brotherhood. « La transformation du héros en adulte sur l’île paradisiaque de Rooks dans Far Cry 3 est une allégorie de ce cauchemar. »

Génération perdue

La galerie de profils fêlés tapissant cette quête d’identité -mystique à bien des égards- ne se limite en outre pas à Vaas. L’île gouvernée par des mercenaires kidnappeurs et esclavagistes crache ainsi au visage du joueur Buck, un antagoniste violeur et homosexuel. Une première dans un jeu vidéo. Au détour d’une mission, Dennis Rogers, le père spirituel du héros, dénonce, lui, crûment la condition des noirs aux Etats-Unis. « J’ai en fait l’impression que les parents de notre génération Y ont tout foiré », poursuit Yohalem. « L’écologie, le capitalisme, les maladies sexuellement transmissibles, l’intégration… Obsédés par leur carrière, ils ont eu des enfants qu’ils n’ont pas élevés. L’ironie, c’est qu’on a grandi en pensant que Disney était la société idéale. Finalement, quand on débarque sur le marché du travail, on bosse au McDo. »

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Malgré l’intervention tribale plan-plan des Rakyat, peuplade tatouée et insulaire que le joueur aidera dans son combat contre les mercenaires emmenés par Vaas (mais pas seulement), Far Cry 3 se dévore comme un film. Le jeu étale des acteurs numériques aussi consistants que ceux de Max Payne 3 ou L.A. Noire de Rockstar. Aidant le joueur et ses proches dans leur fuite, le Dr. Earnhardt pleure ainsi de façon malsaine et dangereuse la disparition de sa fille. Le biologiste sous champis offre d’ailleurs un parfait prétexte au jeu pour détourner les codes du gameplay first person shooter à des fins narratives et psychanalytiques.

Manette en mains et drogué, on traverse ainsi fréquemment au fil du jeu des tunnels hallucinogènes pavés d’écrans télévisés et de maisons qui dansent. Le game over guette parfois au coin de ces expériences sous forme de flash-backs gorgés de remords. Certains combats clés contre des « boss » jouent également de cette réalité déformée avec bonheur. Le tout en demandant au joueur une implication ludique totale et en tournant le dos à toute cinématique passive.

Acteurs de l’ombre

Ce monde claudiquant quelque part entre The Beach et Fight Club n’aurait jamais pris sans la démarche d’Ubisoft Montréal. Le casting inhabituellement long de Far Cry 3 a ainsi permis de dénicher Michael Mando, alias Vaas, qui suite à son audition a directement influencé son personnage. « Je sortais d’une relation difficile et j’étais borderline à ce moment-là. Après mon audition, j’ai été agréablement surpris de voir que mon look iroquois de l’époque et mes mimiques improvisées ont fini par déteindre sur le personnage. J’avais besoin d’exprimer cette rupture et l’équipe de Far Cry 3 l’a relayé dans mon personnage. »

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Résultant en 120 minutes de séquence in game, le tournage long de quatre mois a retranscrit le jeu talentueux des acteurs grâce à la Motion Capture. Dans une pièce de 70 m², les faits et gestes des acteurs habillés de combinaisons sont suivis par une vingtaine de caméras qui en tapissent les murs. Celles-ci ne capturent pas d’image mais bien les mouvements de bandes de couleurs posées sur leurs tenues moulantes. Le tout est digéré en temps réel par l’ordinateur qui retranscrit en direct sur une toile géante les mouvements des avatars des acteurs.

Dirigé en temps réel par un réalisateur, ce Kinect boosté nage entre animation 3D classique d’un studio comme Pixar et théâtre. « Nous nous rapprochons de cette dernière forme car la nature du jeu, vu à la première personne, oblige à tout réaliser en une prise », conclut Robert Purdy, réalisateur chez Ubisoft. Jeu d’acteur et jeu de gamer: la frontière s’atténue.

Michi-Hiro Tamaï, à Montréal

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