Doom 2016, le reboot nerveux du FPS culte

Doom © Bethesda Softworks
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Après avoir signé un pacte technique avec Satan, Doom écrivait l’histoire du jeu vidéo en 1993. Son reboot toujours aussi nerveux rénove un peu son propos tout en jurant fidélité à l’oeuvre d’origine.

Jesus Saves! Les nationales texanes débordent de chapelles d’un blanc immaculé. L’État dingue de flingues se hisse d’ailleurs parmi les régions américaines qui comptent le plus d’églises par habitant. Oubliant les croix gammées de Wolfenstein, Doom et son iconographie sataniste hérissaient la droite bien-pensante à sa sortie en 1993. L’ultraviolence, les pentacles et les boucs ensanglantés du titre iconique créé à Mesquite (au nord du « Lone Star State ») n’émeuvent plus personne aujourd’hui. John Carmack et John Romero, ses créateurs, sont devenus d’affables geeks. Des pères de famille mariés pour qui la provoc façon groupe métal n’est qu’un doux souvenir. Le technicien et l’artiste qui ont fini par se déchirer n’ont d’ailleurs pas participé au reboot de Doom.

Carmack est devenu le directeur technique du Rift d’Oculus (racheté par Facebook) tandis que Romero a couru en vain après son succès de level designer pour finalement s’impliquer dans l’organisation de compétitions d’e-Sport. Producteur notamment responsable de Quake Live (version free to play de Quake 3), Marty Stratton a repris le flambeau. Ce dernier joue aux gardiens du temple sur Doom2016. Espéré depuis la sortie de Doom 3 il y a douze ans (!), ce festin gore horrifiera les âmes sensibles. En trois secondes et à peine dix mètres, on y arrache des têtes de huit démons à mains nues ou en invoquant le saint shotgunà double canon. Une routine. Ce rythme inouï et ces déplacements qui semblent flotter sur l’air contrastent avec la relative lenteur des First Person Shooter contemporains.

Mais les joueurs prêts à replonger dans ce gameplay né il y a près d’un quart de siècle (la même année que le World Wide Web!) restent légion. Monument de pop culture aussi majeur que Tomb Raider ou Mario, Doom reste l’objet d’un culte constant depuis deux décennies. Des adaptations amateurs sur des machines improbables en sont le témoignage le plus fervent. On a ainsi vu le FPS tourner sur le ridicule écran d’une imprimante HP et même sur une calculatrice scientifique. Récemment hacké sur l’Apple Watch, le titre séminal a également fait l’objet d’une mise en abyme vertigineuse puisque The Zombie Killer permettait de jouer à Doom… dans Doom.

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Sang pour sang culte

Regroupant 18.000 versions home made, le portail Doomworld prospère encore. Car le jeu a été pensé pour être facilement « moddé » (modifié) dès sa création en 1993. Le concept de créations facilement échangeables entre gamers a par la suite explosé sur d’autres titres comme Counter-Strike ou Minecraft.

En accumulant plusieurs millions de dollars grâce à Doom I et II, Carmack et Romero ont transformé le jeu vidéo en business aujourd’hui capable d’engloutir un budget de 250 millions de dollars sur une seule production. Argument massue de l’époque? Un moteur graphique qui n’avait pas de commune mesure. Là où une poignée de jeux en 3D peinaient à afficher des polygones basiques, Doom filait à une vitesse hallucinante. Mieux, il déployait une architecture complexe et riche de textures sur tous ses objets. La liste des ruptures technologiques avancée par ces kids de 20 ans est longue. Doom se dressait aussi comme le premier vrai jeu d’épouvante sur PC. Certes, Wolfenstein, son prédécesseur, introduisait l’idée de gore dans le gaming. Mais le jeu d’id Software accédait à un palier supérieur grâce à ses bad guys sataniques. Suprême frisson: casque aux oreilles, le gamer pouvait plus ou moins localiser des monstres tapis dans le noir.

Renvoyant Halo à une balade à Disneyland, le reboot actuel de Doom cultive -sans tomber dans le ridicule- cet héritage SF et horrifique avec un rare talent. Tirer d’abord, causer ensuite. La tentaculaire station minière martienne envahie de démons et de rites occultes que l’on arpente ne cache pas un scénario captivant. Réveillé dans la peau d’un médecin menotté sur un lit d’hôpital, le joueur découvre ainsi les plans d’une entreprise exploitant l’énergie puisée directement en enfer. Loin des gueules cassées du récent remake de Wolfenstein: The New Order, Doom fonce tête baissée.

Parfaitement assumé, ce parti pris a priori bas du front se traduit aussi dans le rythme subluminique du jeu. Exit les approches à pas de loup, caché derrière un mur. Se jeter dans le tas est la règle. Le corps à corps avec les démons s’y dresse en vertu. Achever un monstre en explosant sa tête comme une piñata offre d’ailleurs plus de bonus sur son cadavre. Cette équation économise les munitions -Poelvoorde devrait apprécier- mais elle pousse surtout à prendre des risques inconsidérés en cas de santé basse. Baptisé Glory Kill, le gimmick exige en effet d’agir vite. Car cette sorte de fatality à la Mortal Kombat n’est praticable que sur des adversaires étourdis par quelques balles. Un état de confusion temporaire. Un stress permanent.

D’autant qu’à défaut d’une intelligence diabolique, les adversaires sont très mobiles. Ces derniers se hissent sur des pylônes pour tirer et sautent de balcons en plateformes. En découlent des joutes pas si bêtes que ça. Car dans une arène, face à différentes catégories d’ennemis, discerner quelle famille attaquer en premier est vital. Il faut saisir la bonne arme au bon moment, gérer ses stocks de munitions et de santé. Doom n’est pas le défouloir décérébré souvent décrit. Sens en alerte, on s’accroche donc à la manette. Des démons se téléportent sans prévenir. Le son de leur arrivée active le trouillomètre dans le rouge.

Littéralement dopé par un affichage à 60 images par seconde sur console, le level design labyrinthique et très cloisonné sur la première moitié du jeu (la plus réussie) participe à la crise de nerfs. Au-delà des nombreuses plateformes et salles secrètes typiques de la série, on retrouve avec un plaisir coupable la silhouette filiforme et les mini lance-roquettes des Revenant. Les plis graisseux des énormes Mancubus dont les bras sont remplacés par des Gatling dégoûtent toujours autant. Les points de vie ne se chargent pas automatiquement ici. Tant mieux. Le come-back de Doom réussit là où Duke Nukem échouait. Amen!

DOOM, ÉDITÉ PAR BETHESDA SOFTWORKS ET DÉVELOPPÉ PAR ID SOFTWARE, ÂGE: 18+, DISPONIBLE SUR PC, PLAYSTATION 4 ET XBOX ONE.

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