Blizzard, l’ogre du virtuel grâce à World of Warcraft

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Le studio américain, propriété de Vivendi, a développé un jeu en ligne qui compte plus de 11,5 millions d’abonnés. World of Warcraft écrase la concurrence.

Ce cheval a rapporté plus de 4 millions d’euros à son propriétaire, l’éditeur Blizzard. Et pourtant, il n’existe pas. Mis en vente sur Internet à la fin du mois d’avril au prix de 20 A, le Palefroi céleste n’est qu’une créature de pixels, un animal virtuel appartenant à l’univers du jeu en ligne World of Warcraft. Plus de 200.000 joueurs se sont déjà offert cette monture volante, aux ailes de poussière d’étoiles, qu’ils chevauchent dans un monde où l’Alliance et la Horde s’affrontent sans pitié. « Même mon fils l’a acheté », confie, un brin dépité, Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, un concurrent de Blizzard.

Comme Guillemot junior, ils sont 11,5 millions d’abonnés à se connecter régulièrement sur Internet de leur PC pour plonger dans l’univers de World of Warcraft, se lancer dans l’une des 7650 quêtes proposées et faire ainsi évoluer leur personnage, qu’il soit ogre, humain, troll ou elfe. En moyenne, ces aficionados y consacrent treize heures par semaine et jusqu’à quarante-huit heures pour les plus accros! D’ailleurs, l’addiction peut être si forte que certaines personnes se font traiter dans des cliniques de désintoxication.

Des Etats-Unis à la Corée du Sud en passant par la Russie, la Chine et l’Europe, cet univers d’heroic fantasy est accessible dans le monde entier grâce à plus de 13.200 serveurs répartis sur la planète. Et il devrait s’enrichir cette année avec l’arrivée de nouveaux personnages et aventures sous le nom de Cataclysm. « Il s’agit de la plus grande évolution jamais réalisée depuis le lancement de World of Warcraft, en 2004″, affirme Michael Morhaime, PDG de Blizzard. Officiellement, aucune date de commercialisation n’a encore été dévoilée. Le studio américain, connu pour la qualité de ses créations, n’hésite pas à repousser ses lancements pour livrer un produit parfait. Rien qu’en Europe, il emploie plus de 1350 personnes pour faire fonctionner son monde virtuel, dans lequel chaque participant paie une contribution mensuelle de 13 A.

Car il ne faudrait pas tuer la poule aux oeufs d’or en décevant les fans. Même s’il n’a pas inventé les jeux vidéo sur Internet (ils existent depuis 1997 avec Ultima Online), Blizzard est le premier à en avoir fait une rente qui n’a rien à envier à celle des opérateurs de télécommunications. A lui seul, World of Warcraft a engrangé 1,1 milliard de dollars l’an dernier. Et il a contribué à près de la moitié du bénéfice d’exploitation de sa maison mère, Activision Blizzard, filiale du groupe français Vivendi. Sa botte secrète? Les abonnements: la meilleure façon de lisser les rentrées d’argent dans une industrie soumise aux aléas des ventes et des saisons.

« Ce modèle ressemble à celui des télécoms. Pour réussir, il est nécessaire de nouer des relations fortes avec les joueurs, de gérer une infrastructure de serveurs, une plate-forme de facturation, et d’avoir une très bonne qualité de service. Comme les coûts de développement sont énormes, les échecs le sont également », souligne Gregory Zeschuk, cofondateur du studio BioWare, qui travaille sur un titre concurrent fondé sur l’univers de Star Wars. Il faut aussi savoir retenir une clientèle par nature infidèle, à l’affût des nouvelles tendances, prête à partir voir ailleurs à la première tentation. Un modèle bien connu de Vivendi, qui gère déjà des fichiers d’abonnés, chez SFR ou Canal+.

Pourtant, en 1998, quand il acquiert Cendant, un spécialiste des jeux ludo-éducatifs, le groupe français n’imaginait certainement pas mettre la main sur une telle pépite. La firme, alors pilotée par Jean-Marie Messier, laisse toute latitude au studio, dont elle ne comprend pas vraiment le travail, et envisage même sa cotation en Bourse pour s’en débarrasser. L’explosion de la bulle Internet empêchera l’opération. Elle mettra dix ans à aboutir, à la faveur de la fusion de Blizzard, en 2008, avec l’éditeur américain Activision. Cette union donnera naissance au leader mondial du secteur, dont Vivendi est l’actionnaire majoritaire.

La réussite de World of Warcraft ferait presque oublier qu’avant cela l’entreprise s’était déjà forgé une solide réputation avec des jeux de stratégie comme Warcraftou encore Starcraft,dont le deuxième épisode doit sortir à la fin du mois, douze ans après le premier. « Cet opus devrait s’écouler à 6 millions d’unités et nous attendons 5 millions d’unités pour Cataclysm, cette année », estime Michael Pachter, analyste pour Wedbush Securities.

De nombreux prétendants ont tenté de marcher sur les traces de Blizzard. En vain. Le titre le plus vendu sur PC, Les Sims, n’a pas réussi son passage sur la Toile, pas plus que les héros de la saga Star Wars ou ceux du Seigneur des anneaux. Tous se sont cassé les dents. Aujourd’hui, le premier concurrent de World of Warcraft, Fantasy Westward Journey, d’origine chinoise, n’affiche « que » 400 millions de dollars de chiffre d’affaires.

Sony est le prochain acteur à se risquer. La société prépare DC Universe Online, un jeu fondé sur les héros de BD (Batman, Superman…) qui sortira en novembre. « C’est la première fois que ce type de jeu sera disponible sur la PlayStation 3. Un pari risqué mais qui peut rapporter gros », assure Laura Naviaux, vice-présidente des ventes pour Sony Online.

Pas de quoi inquiéter, semble-t-il, Blizzard. Le studio bénéficie d’une telle aura qu’il s’est payé le luxe de bouder le grand salon de l’industrie, l’E3 de Los Angeles. Une stratégie assumée par son fondateur. Chemise à carreaux pendant hors d’un jean délavé, Michael Morhaime, 42 ans, est un joueur de poker émérite et un développeur dans l’âme. Le cofondateur de Blizzard possède même son avatar, Mai’Kyl, un bassiste qui joue dans un groupe de hard-rock composé d’autres salariés. Autant dire que son style détonne avec celui de Robert Kotick, PDG d’Activision Blizzard, plus porté sur les costumes gris et la finance. « Nous travaillons très bien ensemble », assure Kotick. « La société continue de croître. Nous ne subissons pas la crise et, cette année, nous nous attendons plutôt à un cataclysme. »

En réalité, Blizzard garde toute son autonomie, comme il l’a toujours fait depuis ses origines. Bien que la société ait changé de mains à plusieurs reprises depuis sa création en 1991, des accords contractuels lui garantissent une totale indépendance. Une sorte d’Etat dans l’Etat. « Robert Kotick n’a aucun pouvoir sur le studio. Le groupe possède bel et bien deux dirigeants », souligne un ancien cadre de l’entreprise. Une sorte d’ogre à deux têtes comme on peut en croiser dans l’univers étrange de World of Warcraft.

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