Critique

Big Bang, mon amour

© Double Fine Productions
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Everything de David OReilly projette les idées philosophiques d’Alan Watts en jeu vidéo. Une mise en abyme vertigineuse mais inaboutie.

David OReilly est un oiseau rare. Le volatile plane ainsi aux frontières du cinéma d’animation et du jeu vidéo indépendant. Côté pellicule, ses séquences éthérées et robotiques ont marqué le Guide du voyageur galactique et les conversations virtuelles du Her de Spike Jonze. Lorsqu’il taquine le joystick, cet Irlandais installé à Los Angeles vole par contre bien plus loin. Sur Everything, l’artiste transmédia tente ainsi de projeter les idées philosophiques d’Alan Watts en gameplay. Obsédé par la conscience humaine et par notre place dans le cosmos, ce penseur-clé de la contre-culture des années 50 et 60 habite littéralement cet « open-world » aux idées vertigineuses.

Qu’on se le dise, Everything tourne comme un monde ouvert aux polygones grossiers et aux textures faméliques. Le gamer commence très simplement par y contrôler un animal (cédé aléatoirement) dont les déplacements saccadés sautent comme Panique au village. L’approche volontairement (?) grotesque s’efface toutefois derrière un gimmick pour le moins singulier: brin d’herbe, zèbre, arbre, continent, galaxie, bactérie… le joueur peut incarner tous les êtres vivants et les objets peuplant le jeu-monde. Ces prises de contrôle à répétition s’étalent dans des paysages générés aléatoirement sur chaque partie. Mais OReilly ne laisse pas pour autant le gamer démuni. Au début du moins…

Pixels universels

Le créateur parsème ainsi son monde sans carte de points d’intérêt à découvrir lors de la première heure de jeu. Ces derniers étendent la palette d’actions du gamer. Se regrouper avec des semblables pour former un troupeau, abandonner ses congénères, danser en groupe, cloner ses semblables, changer leur taille… Plus loin, du macro au micro, Everything dévoile différentes échelles de vie, à visiter comme les étages d’un immeuble. On passe d’un niveau où évoluent singes, ânes, chevaux et autres cochons vers des strates de plus en plus petites. Après avoir tutoyé des cailloux et des graines de sésame, on saute ainsi au royaume des amibes et des cellules pour terminer sa descente à un niveau subatomique. Et inversement.

« Regarder dans un microscope ou dans un télescope n’est pas différent »: les nombreuses bribes de conférences audio d’Alan Watts offrent un propos qui épouse parfois merveilleusement l’action en cours. La vie, la nature, la physique, la biologie et les perceptions humaines du monde embrassent les thèmes abordés par l’expert en religions comparées. On fait danser des continents. On recueille les états d’âmes philosophiques de cailloux paumés. Chaque nouvelle incarnation complète une encyclopédie. Everything prouve bel et bien que la maturité du jeu vidéo lui permet de transformer le propos d’un philosophe en gameplay. Ou presque. Car au-delà d’un secret en poupée russe prévisible, la découverte de nouveaux témoignages audio et d’interactions insolites ne suffisent pas à tendre de vrais ressorts ludiques. Will Wright aurait pu être jaloux d’Everything. Mais sa trilogie des SimCity, The Sims et Spore est à ce jour une bien meilleure mise en abyme de la vie dans un jeu vidéo.

Édité par Double Fine Productions et développé par David OReilly, âge: 3+, disponible sur Mac, Linux, PC et PlayStation 4. ***(*)

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