Vin quotidien

© ÉDITIONS Le Dilettante

Vingt ans après sa mort, « Bob » Giraud voit son gouleyant chef-d’oeuvre de 1955 republié, dans une édition enrichie. Santé!

C’est l’histoire d’un gamin élevé gentil garçon dans le Limousin, brave étudiant en droit, qui à vingt ans se retrouve incarcéré par les nazis en la geôle de Limoges, où il se frotte pour la première fois à une population de résistants, mais surtout de  » droits communs « , de vagabonds, poivrots et tire-laine couverts de tatouages et gouaillant des argots poétiques issus d’un peu partout. Monté à Paris juste après la guerre avec une troupe d’érudits locaux et l’objectif de monter un journal qui fera long feu, il s’installe dans le sixième arrondissement et décide de ne plus quitter la capitale. Deux chocs émotionnels vifs -les galériens des rues, les nuits parisiennes- qui l’auront convaincu alors de traîner tous les soirs jusqu’à l’aube dans la pénombre, de bistrots en arrière-cours, sur les bords de Seine ou avec les forts des Halles. D’y monnayer ses bras, sa curiosité parfois téméraire, son énergie peu regardante, auprès d’une foule de démerdards, de marlous romantiques et de jongleurs de lames comme il en éclot des pelletées à chaque carrefour aux heures sombres: « Le gars de la nuit, l’épouvantail, le loup-garou de l’homme rangé, le croque-mitaine qui boit du vin rouge au lieu de ronfler. » De récolter piécettes et rendre menus services (même en tant qu’occasionnel « voleur de chats ») entre deux allers-retours au troquet, où il ne peut pas entrer « sans qu’immédiatement [son] verre soit là, servi sur le zinc », et où il apprend surtout à tisser des liens indéfectibles avec de vil(e)s voyou(te)s comme la bohème artistique -Doisneau, auteur ici d’une merveilleuse préface, Prévert, Mérindol; plus tard Blondin, Fallet, Fréhel ou Brassens, soit le panthéon des littérateurs, poètes ou musiciens portés sur la boutanche et les frasques.

Trajectoires dingues

Bon copain autant qu’ethnologue en immersion, il recense les gueules (« Un régisseur de cinéma ferait fortune, s’il pouvait avoir le paquet à disposition. Pas besoin de les déguiser, chacun porte sa carte d’identité écrite sur le front »), décrypte les codes de la nuit, qui a « ses apprentis, ses voyeurs, ses traînards, ses égarés, ses disciples, ses pigeons, ses figurants… Le bistrot est là, premier échelon à franchir, et auquel on ne résiste pas (…) La nuit, les Halles grandissent à couvrir Paris tout entier ». Et récolte les histoires édifiantes: « La nuit est un village à cancans, parfois, tous les rades pour les traînards pourraient s’appeler le Café du Commerce ou des Voyageurs. » Professionnel de la formule, il affiche le mépris le plus total pour les buveurs du dimanche, ceux des terrasses –« ces merveilleuses expositions de poires toujours prêtes à être cueillies »-, refuse en cow-boy les verres d’eau -ce « sirop de parapluie »– et nous invite en bienveillance à découvrir un temps où les carrelages des bars étaient arrosés de sciure, où les copains de beuverie avaient tous une trajectoire dingue et une idée folle à laquelle vous agréger. Écrits au début des années 50 depuis l’île bretonne de Bréhat, ces six récits (dont Carrefour Buci, jadis zappé de l’édition originale sans doute pour outrage aux bonnes moeurs) s’inscrivent dans leur temps -mention spéciale à la langue, qui propulse en rêveries d’époque.

Le Vin des rues

de Robert Giraud, ÉDITIONS Le Dilettante, 288 pages.

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