Une vie comme les autres

À New York, quatre amis autrefois coturnes traversent avec un certain succès les prémices de l’âge adulte. Il y a parmi eux un artiste hâbleur d’origine haïtienne (JB), un aspirant comédien prévenant (Willem), un architecte métisse indécis (Malcolm) et un avocat nimbé de mystère (Jude). Ce qui s’annonce comme le portrait croisé d’une génération ambitieuse prend un tournant lorsque Yanagihara « plonge le bras dans le fumier rempli de serpents et de mille pattes grouillants que formait le passé de Jude« . Entre violences dans le monastère qui l’a recueilli enfant, confiance mal placée et fuite fatale, rien ne sera épargné à celui qui devient le personnage principal jusqu’à l’université. Si ses amis s’interrogeront souvent sur Jude (comme JB qui tente de l’apprivoiser sur toile), les manches longues qui dissimulent ses stigmates resteront longtemps une barrière infranchie. Pour ce premier roman traduit en français, Hanya Yanagihara se confronte au récit épique américain en lui tordant le bras. Là où un self-made man classique connaîtrait retours de fortune mais aussi résilience, l’auteure maintient la lame sur l’incapacité de Jude à cicatriser malgré un entourage aimant. Cette souffrance devient si lancinante qu’elle colore le récit, rendant tous les autres personnages orbitaux, de Willem l’ami de coeur à Harold, le mentor accueillant. On rampe à travers certains passages dans un état de sidération. Pris entre l’empathie qui naît de la relation ultra-intime avec ce personnage, le geste de longue haleine de l’auteure (et certains de ses éclats) et ce caractère doloriste confrontant, nous voilà en déséquilibre. Notre besoin de consolation serait-il impossible à rassasier?

D’Hanya Yanagihara, éditions Buchet-Chastel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle Ertel, 816 pages.

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