Une histoire de violences

Découvert lors de la dernière Mostra de Venise, Jusqu’à la garde devait marquer les esprits, cumulant les prix de la mise en scène et de la meilleure première oeuvre. Le film, qui embrasse le sujet sensible de la violence domestique, est de ceux qui décoiffent, Xavier Legrand réussissant là un hybride aussi fort qu’audacieux entre drame social et thriller angoissant, le tout sous tension maximale. Issu du Conservatoire national de Paris, le réalisateur a accumulé une longue expérience d’acteur au théâtre comme au cinéma (on le vit notamment dans Les Amants réguliers, de Philippe Garrel) avant de s’essayer à la mise en scène en 2013 avec le court métrage Avant que de tout perdre, multi-primé lui aussi, de Clermont-Ferrand aux César. Un essai aux airs de matrice de Jusqu’à la garde, puisqu’il réunissait déjà Léa Drucker et Denis Ménochet autour du même sujet. « Jusqu’à la garde en est le prolongement, je l’avais déjà en tête au moment de tourner Avant que de tout perdre, explique-t-il, installé dans un salon du Casino du Lido. À la base, le projet était une trilogie de courts métrages, mais je me suis aperçu en faisant le premier que les autres allaient être trop déséquilibrés dans le rythme. Les prémices du court métrage, c’était de suivre la journée d’une femme décidant de fuir son mari violent. Pendant trente minutes, il y avait cette fuite à raconter. La suite était plus longue, plus insidieuse, et j’ai donc décidé d’en faire un long métrage… »

Enjeux cinématographiques

Le thème de la violence domestique, guère abordé en définitive par le cinéma, Legrand l’a choisi parce que, dit-il, « c’est un phénomène qui touche énormément de monde, qui est encore très présent, et me met en colère en tant que citoyen. » Et de reconnaître volontiers un aspect politique à sa démarche. Quant à la difficulté de traiter d’un tel sujet sans verser dans l’excès de pathos ou le pensum laborieux, elle n’était pas de nature à le faire reculer, au contraire. « J’ai regardé beaucoup de films pour voir quelle place on y donnait au spectateur. Souvent, il y a une espèce de réflexe, quand une scène de violence arrive, de vouloir se protéger en disant: « Oui, mais cela n’arrive qu’à eux, à ce couple spécifique » , il y a quelque chose de l’ordre « ça ne me concerne pas ». D’un point de vue cinématographique, il y avait des questions très importantes auxquelles j’ai essayé de me confronter. »

La bonne distance, le réalisateur la trouve dans un drame où l’approche quasi-documentaire alimente la fiction. Guidé par un évident souci de justesse, Xavier Legrand a multiplié les recherches, travaillant aux côtés de professionnels – « je ne voulais pas jouer avec l’imaginaire collectif, ni avec mon propre imaginaire ». Une juge a ainsi accepté qu’il la suive pendant plusieurs journées d’audience, histoire de mieux se pénétrer de la réalité, traduite dans la scène d’ouverture du film -vingt minutes de haut vol, où le spectateur est ballotté au gré d’impressions fluctuantes. « Juge aux affaires familiales, c’est un métier très difficile. Décider de la vie d’un enfant en vingt minutes est très dur. C’est normal, mais en même temps, il faudrait requestionner notre relation à la justice quand il y a violence conjugale. Une juge est là pour veiller à ce que tout le monde soit dans son bon droit. Si les parents ne parlent pas des raisons du divorce, elle n’a pas à les savoir. Généralement, les violences conjugales sont tues, à part quand les femmes revendiquent. Mais sinon, elle se disent: « Moins je vais le charger, plus il me foutra la paix. » Du coup, comment juger ce type de situation? » Une question parmi d’autres, pour une oeuvre choc s’attelant à aiguiser la conscience du spectateur tout en se révélant une stimulante proposition de cinéma dont l’intensité serait nourrie des faits, mais aussi de l’héritage des films de genre. Et Xavier Legrand, s’il cite Kramer contre Kramer et La Nuit du chasseur parmi ses inspirations, y ajoute Shining

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