Une belle brochette

© THOMAS LEROOY - DESTROY EVERYTHING YOU TOUCH, 2014.

En marge de la très belle exposition consacrée à Léon Wuidar, la galerie Rodolphe Janssen expose un carré d’artistes à suivre de très près.

La question de l’événement hante la philosophie, de Platon à Wittgenstein. Elle traverse également l’Histoire de l’art de manière ectoplasmique. Quelle en est la définition, l’essence? Probablement est-ce l’imprévisibilité qui transforme un moment particulier en cette rupture dans l’enchaînement « normal » du devenir qu’on se plaît à qualifier de « réel ordinaire ». Est événement ce qui surgit là où on ne le soupçonne pas. Cas concret. En poussant la porte de la galerie Rodolphe Janssen, on s’attend à cette normalité -une sorte de temporalité molle- évoquée plus haut, à savoir une exposition plus ou moins plaisante à voir. L’ordre des choses. À dire vrai, à l’heure où l’art effectue sa rentrée des classes, c’est même davantage sur une configuration déceptive que l’on table. Le group show proposé à l’étage du 32 de la rue de Livourne avait tout pour l’être: quatre plasticiens aux horizons différents accolés ensemble pour des raisons promotionnelles. Bigre, avant même de voir, on pense avoir tout compris. Force est de reconnaître que le vaste éventail des possibles a plus d’un tour dans son sac car c’est exactement ce moment qu’a choisi un événement pour faire saillie. Il a pris son sens, un peu à la manière d’une loi d’Archimède, à l’encontre de la possibilité qu’il avait d’avoir lieu. En réunissant Davide Balula, Kendell Geers, Sam Moyer et Thomas Lerooy, la galerie Janssen a signé à nos yeux un agencement parfait.

Harmonieux quatuor

Que s’est-il passé? On ne saurait dire exactement, mais des formes et des couleurs ont parlé, des contours se sont répondu. Quelque chose s’est dressé devant nos yeux. L’accrochage ne rassemble pas plus de dix pièces mais celles-ci partagent un univers commun. Entre Destroy Everything You Touch (2014) de Thomas Lerooy et le fétiche Mutus Liber (2013) de Kendell Geers, c’est bien d’une koiné, d’une langue, qu’il est question. Un lexique et une grammaire convergente pour dire la violence du monde, celle qu’il impose et celle qu’il s’impose. D’un côté, un bras en forme de marteau se fabriquant ses propres stigmates en s’enfonçant un clou dans la main; de l’autre, une statuette noire percée d’une trentaine de tiges de métal et recouverte de peinture blanche. Sadisme et masochisme? Ce n’est pas aussi simple. Il y a également cet intriguant crâne d’hippopotame peint, posé sur cinq palettes de transport, qui dévie le regard vers les panneaux de bois carbonisé signés par le Français Davide Balula. Une étrange alchimie, sourde et menaçante, circule d’une pièce à l’autre. Face à ces modernes vanités, au goût de cendre et de terre, on ne peut évacuer l’idée d’un monde en baisse de régime, un monde dans lequel les flux d’énergie ne circulent plus. Même forgées dans un autre registre chromatique plus lumineux, trois oeuvres en verre fondu de Sam Moyer ne dissipent pas l’impression que l’art ne pourra plus sauver le monde.

Balula, Geers, Lerooy & Moyer

Galerie Rodolphe Janssen, 32 rue de Livourne, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 20/10.

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www.rodolphejanssen.com

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