Valérian, un demi-siècle d’influences

Valérian: un demi-siècle d'influences © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La série créée en 1967 par Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, décédé ce week-end, n’a pas attendu le film de Luc Besson pour devenir une référence, tant au cinéma qu’en BD. Analyse.

Jean-Claude Mézières est décédé ce 23 janvier 2022. L’occasion de revisiter cet article paru à l’occasion de la sortie sur grand écran de l’adaptation de Valérian par Luc Besson, dans le Focus Vif du 28/07/2017.

Les connaisseurs ont depuis longtemps inscrit la série Valérian, agent spatio-temporel (rebaptisée en 2007 Valérian et Laureline à l’occasion de ses 40 ans et d’une énième réédition) aux panthéons du 9e art et de la science-fiction. Stan Barets, écrivain, libraire et grand spécialiste français de la SF, assénait il y a plus de quinze ans que Valérian était « l’archétype originel d’où tout procède« . Will Eisner, géant américain des comics, lui emboîtait le pas peu après, estimant que « Mézières et Christin sont l’une des plus grandes influences qu’ait subie le cinéma américain en matière de science-fiction ». De fait: depuis 1967 et son apparition dans le magazine Pilote, l’univers foisonnant et complexe de la série n’en finit pas d’imposer son imaginaire et son indémodable modernité auprès de ses lecteurs, qu’ils soient chef décorateur de George Lucas, féministes convaincus, scénaristes de films ou créateurs de BD. Une influence majeure, et surtout à 360 degrés, qui s’explique en partie par la richesse et les références de la série, laquelle a séduit et convaincu, depuis longtemps, bien au-delà de son propre médium. Et ce en empruntant parfois des chemins aussi complexes et détournés que ses propres histoires.

Lorsque les deux amis d’enfance, rapidement rejoints par Évelyne Tranlé, coloriste et soeur de Mézières, se lancent dans l’aventure Valérian, bien malin celui qui aurait pu prédire un avenir constitué de 23 albums pour presque autant de hors-séries, d’éditions commentées, d’hommages et de parodies en tout genre, deux millions et demi d’exemplaires vendus (avant même la déferlante bessonienne) et une kyrielle d’aficionados, de Moebius à Larcenet en passant par George Lucas et Ridley Scott. Les auteurs eux-mêmes semblaient ne pas trop y croire, eux qui tenaient surtout à rejoindre le Pilote de Goscinny, peu importe ou presque la manière d’y entrer: si leur ami Giraud n’y publiait pas déjà Blueberry, ils auraient probablement choisi de leur propre aveu d’y proposer un western plutôt qu’un récit de science-fiction, genre jusque-là très rare en bande dessinée franco-belge. À peine avait-on déjà pu lire Les Naufragés du temps de Paul Gillon, Lone Sloane de Druillet ou le tout frais Luc Orient d’Eddy Paape. Un choix presque par défaut, qui va pourtant être rapidement magnifié par la vista graphique de Jean-Claude Mézières, tenant d’une ligne claire très lisible, mais surtout par les scénarios de Pierre Christin, lui-même grand lecteur d’Asimov, Van Vogt et Philip K. Dick, soit les représentants d’une SF volontiers intello et surtout très éloignée de tout manichéisme. Comme Luc Besson le souligne aujourd’hui, il n’y a dans Valérian ni pur méchant ni alien menaçant, bases absolues d’à peu près tous les récits de SF américains jusque aujourd’hui, mais au contraire une lecture avisée et longtemps classée à gauche des maux de la société contemporaine, portée par des récits d’une complexité dont la bande dessinée se croyait alors incapable. Mêlant selon les tomes voyages dans le temps, voyages dans l’espace, univers parallèles et paradoxes spatio-temporels déjoués -la série passa habilement l’année 1986, au cours de laquelle Christin imagina presque 20 ans plus tôt une catastrophe nucléaire fondatrice de Galaxity, ville-monde aux origines des univers de Valérian-, la série séduit d’emblée ses lecteurs par ses ambitions autant graphiques qu’imaginaires.

Valérian, un demi-siècle d'influences

La gifle Star Wars

La reconnaissance prit pourtant des chemins détournés: si Métal Hurlant, la bible du genre SF, snoba longtemps la série pour son côté humoristique et trop « tous publics » à son goût, son influence -jamais créditée- fut évidente dix ans plus tard avec La Guerre des étoiles, puis avec toute la trilogie Star Wars: un Faucon Millenium ressemblant comme deux gouttes d’eau au vaisseau XB 982 de Valérian et Laureline, un bloc de carbonite déjà vu dans l’album L’Empire aux mille planètes -dont Besson a surtout retenu le titre pour son film, le scénario s’inspirant essentiellement de L’Ambassadeur des ombres-, une fameuse tenue de la princesse Leia rappelant furieusement celle de Laureline dans Le Pays sans étoile… Autant de références évidentes mais jamais admises par Lucas qui laissèrent longtemps Mézières meurtri. Des emprunts du cinéma hollywoodien que l’on retrouve aussi dans Conan le Barbare, Blade Runner ou Dark City sans que Valérian ne soit jamais mentionné. On comprend mieux dès lors l’enthousiasme de Mézières, cette fois officiellement sollicité, à se lancer dans les décors du Cinquième Élément, par Luc Besson déjà, et son plaisir d’aujourd’hui à voir cette adaptation, soulignant dans ses interviews « l’émotion rare pour un artiste graphique de voir son travail à la fois scrupuleusement respecté et magnifié par la magie toujours intacte du cinéma à grand spectacle« .

La bande dessinée franco-belge de SF, elle, sait depuis longtemps qu’elle doit si pas tout, du moins beaucoup à cette série qui a ouvert tous les possibles: du Vagabond des Limbes à Orbital, en passant par Antarès, toutes ces séries ont un peu de Valérian en elles. Même Manu Larcenet s’est offert le premier « Valérian par… », suivi en septembre prochain d’un second tome du genre assuré par Lauffray et Lupano. De quoi patienter jusqu’au 24e album, promis depuis longtemps par Christin et Mézières.

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