Un artiste en temps de guerre

S’il n’est guère connu du grand public, le parcours d’Etienne Comar dans le cinéma français n’en impose pas moins. Diplômé de la promotion 1992 de la Femis, ce Parisien s’est taillé une solide réputation tant comme producteur (de Zonzon de Laurent Bouhnik à Timbuktu d’Abderrahmane Sissako) que comme scénariste, puisqu’on lui doit notamment les scripts de Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois et de Mon Roi de Maïwenn. À l’entame de la cinquantaine, le voilà donc qui s’essaie à la réalisation, dans un mouvement qu’il estime naturel: « Mon engagement pour le cinéma a toujours été très fort. J’ai commencé par la production, mais en m’occupant surtout du volet artistique. Produire, écrire, mettre en scène, je vois cela comme une continuation: il s’agit toujours de créer des films, en quoi ces trois éléments sont indispensables… »

Django Reinhardt l’aura aidé à franchir le pas, répondant, explique-t-il à son désir de dresser le portrait d’un musicien en proie aux tourments de l’existence. D’où, aussi, le choix de circonscrire le propos aux années d’occupation, une courte période courant de 1943 à 1945 quand, aux triomphes parisiens -« le thème de l’aveuglement dans la création me passionnait« , succède le départ du guitariste pour Thonon-les-Bains, coïncidant avec son éveil à la tragédie vécue par la communauté tzigane. « Le trajet principal du film, c’est la façon dont il change à travers la musique (…), poursuit Etienne Comar. Instinctivement, je voulais parler d’un artiste en temps de guerre, un désir lié à l’époque que nous traversons aujourd’hui. Dans mon travail, je m’interroge toujours sur ma responsabilité et sur ce que l’on va raconter au spectateur. Je voulais exprimer les questions qui m’habitent. Et en me concentrant sur cette période, je pouvais prendre un peu de distance avec le sujet, tout en me l’appropriant plus directement. J’apprécie ce procédé, que l’on retrouve notamment dans la littérature américaine, de ne pas recourir à l’autofiction mais de parler de soi en trouvant sa propre matière dans un autre personnage. Je m’identifie complètement à Django Reinhardt pendant la durée de ce film, même si je ne suis ni guitariste, ni tzigane, et que je n’ai pas vécu dans les années 40. C’est le mystère de la création, pouvoir explorer cela à travers un autre. »

Un précurseur du rock

De Reinhardt, le réalisateur ne se fait faute de relever les nombreuses contradictions -« qui peuvent créer de grandes personnalités« , tout en soulignant son courage, à rebours peut-être de certaines idées reçues. « Django était quelqu’un de courageux, mais pas au sens où l’entendent les historiens pour qui il aurait fallu pour cela rejoindre le maquis, ou prendre les armes. Il s’est battu avec ses armes à lui, à savoir sa guitare et sa musique. Les artistes se servent de leurs « armes »: la réponse de Picasso à Guernica, c’est une peinture, il ne s’est pas engagé dans l’armée. Il y a différentes manières de s’impliquer face à une situation dramatique.« Postulat toujours d’actualité d’ailleurs. Et faisant aussi le prix d’un film qui transcende les canons du biopic par sa capacité à résonner à différents niveaux avec le présent, de la question des réfugiés à l’engagement d’un artiste: « L’époque est différente, mais les questions restent les mêmes. On peut retrouver les problématiques du film dans notre société contemporaine. Y a-t-il lieu de jouer devant quelqu’un dont on ne partage pas les idées? Je n’ai pas la réponse, mais pour moi, Django Reinhardt jouant du jazz à Paris en 1943, une musique représentant la liberté, le métissage, le blues, les esprits afro-américains, c’est un peu comme s’il avait dit « fuck » à sa manière. C’était un précurseur du rock par son attitude…« Jimi Hendrix ne pensait pas autrement, qui a baptisé son dernier groupe Band of Gypsys en référence au guitariste…

J.F. PL.

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