Tout ce dont je ne me souviens pas

ROMAN de Jonas Hassen Khemiri, ÉDITIONS Actes Sud, 336 pages.

8

On l’avait découvert en 2011 avec Montecore, un tigre unique, brillant portrait du père nord-africain d’un auteur suédo-tunisien. Depuis lors, Jonas Hassen Khemiri n’a plus cessé, dans ses romans comme ses pièces -dont J’appelle mes frères, en 2014-, d’inventer des formes littéraires originales, entre parler vrai et poésie brutale, afin d’informer sur l’état du racisme en Scandinavie. Déménageurs, artistes, aides-soignants, réceptionnistes, dilettantes ou écrivains: les personnages de ce nouveau et saisissant roman tentent tous, avec plus ou moins de succès, de mener d’épanouissantes existences de trentenaires européens sans rien ignorer du fait qu’ils ne partagent pas totalement les traits traditionnels du viking, du Viktor ou du Erik bon teint. Samuel, personnage principal autant qu’absent du roman -on apprend rapidement qu’il est mort, ce qui aura motivé un écrivain à recueillir les témoignages de ses proches-, travaillait à l’Office national d’Immigration, et souffrait d’une mémoire-gruyère qui le poussait sans cesse à tenter des tas de choses plus ou moins absurdes, comme un enfant, afin de tenter de se stimuler le cortex. Les témoins -sa petite amie Laïde, sa vieille complice Panthère, et surtout le magouilleur Vandad- vont donc tenter de le raconter à un parfait inconnu, chacun à sa manière, dans une sorte de choeur blindé d’interprétations, de non-dits et de faux-semblants, structuré au millimètre par un auteur qui s’offre en outre le luxe de ne rien laisser apparaître de sa mécanique de pointe. Un incendie (criminel?), une bagarre (amoureuse?), un accident de voiture (suicidaire?) offrent autant de pistes que d’interlocuteurs, et surtout au lecteur un stimulant jeu de pistes, très instructif sur les tensions inhérentes (notamment) à la société suédoise.

F.P.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content