Que reste-t-il d’Otis Redding, 50 ans après sa mort?

Otis Redding © GETTY IMAGES
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Il y a tout juste cinquante ans, le 10 décembre 1967, Otis Redding mourait dans un accident d’avion, à seulement 26 ans. La musique soul ne s’en est toujours pas complètement remise…

Dix décembre 1967. Il fait froid ce jour-là, et les prévisions météo ne sont pas bien fameuses. « Un engagement est un engagement », se dit pourtant Otis Redding. Le chanteur n’a jamais annulé un seul concert. Ce n’est pas maintenant qu’il va commencer. Accompagné des Bar-Kays, Redding s’est produit la veille dans une émission télé, à Cleveland. La suite de sa tournée promo doit l’emmener à Madison, 800 km plus loin. Pour se rendre jusque-là, il peut compter sur son nouveau bimoteur Beechcraft, modèle H18. Malgré les conditions climatiques exécrables, l’avion décolle avec ses huit passagers. Quelques heures plus tard -à 15h28 très précisément selon le rapport de police-, l’engin s’abîme dans le lac Monona, à quelques kilomètres à peine de l’aéroport de Madison. Seul Ben Cauley, trompettiste du groupe, survivra au crash, réussissant à s’échapper de la carlingue. Tous les autres -le pilote, le tour manager, quatre membres des Bar-Kays et Otis Redding- périront dans l’accident. Près de trois ans, quasi jour pour jour, après l’assassinat de Sam Cooke, la soul music perdait un autre de ses géants…

Est-ce que parce qu’elles ont été à ce point intenses et bouleversantes que les années 60 ont tracé autant de trajectoires fulgurantes? Était-ce le lot à payer pour changer d’époque? À cet égard, la mythologie sixties évoque toujours immanquablement les destins cramés de Jimi Hendrix, Jim Morrison, Brian Jones ou Janis Joplin. En disparaissant à l’âge de 26 ans à peine, Otis Redding bouleversa pourtant tout autant le monde de la musique. En quelques années à peine, il chamboula la soul. Et la conduisit comme nul autre avant lui aux portes de la pop. S’en souvient-on encore aujourd’hui? Pas certain. À part la réédition sur un vinyle doré du tube posthume (Sittin’ On) the Dock of the Bay, aucune commémoration particulière n’a été annoncée. On peine également à dénicher l’un ou l’autre chanteurs actuels qui revendiqueraient son héritage. En le samplant, les rappeurs sont peut-être finalement ceux qui ont le mieux prolongé sa musique -de De La Soul au Wu-Tang Clan, en passant par Kanye West et Jay-Z qui, en 2011, ont repiqué un extrait de Try a Little Tenderness pour en faire l’élément central de leur morceau baptisé… Otis.

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On dirait le Sud…

Qui était Otis Redding? Les images d’archives montrent un bon géant. Une carcasse imposante de bûcheron bienveillant, dont sort par contre une voix d’une âpreté inouïe. Comme s’il avait toujours su que son temps était compté, Otis Redding semble avoir investi chaque note qu’il a pu chanter comme si c’était la dernière. Loin des rondeurs de la Motown -l’usine à tubes de Berry Gordy installée à Detroit-, Otis Redding chantait cru, rêche, rocailleux. Mieux que quiconque, il symbolisera ainsi la soul sudiste, cette expression musicale noire, rude et mal fagotée. Pas forcément une « musique de libération émotionnelle dépourvue d’inhibition », écrit Peter Guralnick dans son fameux Sweet Soul Music. « La soul music est une musique qui ne cesse de poursuivre un but, de chercher à se défaire de contraintes -celles de la mélodie et des conventions- qu’elle s’est imposées à elle-même. » Histoire foncièrement noire, implantée dans le Sud ségrégationniste, la soul music sera paradoxalement aussi le refuge des premiers groupes racialement mixtes. Fondé par Jim Stewart et sa soeur Estelle Axton, à Memphis, le label Stax représente bien ce mélange. C’est là qu’ atterrira le jeune Otis Redding au début des années 60.

Né le 9 septembre 1941 à Dawson, en Géorgie, Redding a grandi à Macon, à une centaine de kilomètres plus au sud. Il semble que l’aîné des garçons de la famille de six enfants n’a jamais vraiment eu d’autres ambitions que musicales. Fan avéré de Little Richard et de Sam Cooke, il voit son destin basculer à la faveur de deux rencontres. Encore ado, le jeune Redding fait d’abord la connaissance du guitariste Johnny Jenkins (dont le jeu spectaculaire influencera Jimi Hendrix). Avec lui, il enchaîne les victoires dans les concours musicaux locaux. C’est là qu’il se fera repérer par Phil Walden, jeune Blanc pas plus âgé que lui, qui lui proposera bientôt de devenir son manager, défiant les conventions racistes du Sud.

Un jour, Jenkins reçoit une proposition pour enregistrer sur le label Stax. Redding est dans le coin. Il en profitera pour graver ce qui deviendra, bien plus tard, son premier tube, la ballade These Arms of Mine. On est en 1962. Le chrono est enclenché. Multipliant les tournées, Otis Redding va petit à petit asseoir son succès. Il crée Respect, bientôt canonisé par Aretha Franklin. Il écrit encore d’autres classiques, comme Pain in My Heart, Fa-Fa-Fa-Fa (Sad Song), I’ve Been Loving You Too Long… Rien que sur l’année 1965, il classe trois albums dans le top 10 soul.

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Au printemps 1967, il s’envole pour la première fois vers l’Europe avec toute la revue Stax. Précédé sur scène par le show dynamite de Sam & Dave, il se surpasse, et quitte chaque soir la scène en nage. Un peu plus tard, il est invité au festival Monterey Pop, premier des grands festivals hippie. La prestation n’est pas payée, mais l’occasion est trop belle d’élargir son public pour celui qui a pris l’habitude de reprendre les Stones (Satisfaction) ou les Beatles (Day Tripper). L’expérience est plus que concluante: programmé à 1 h du matin, alors que les fumées psychédéliques de Jefferson Airplane se sont à peine dissipées, Otis Redding fait un triomphe. L’expérience finit de le persuader qu’il peut encore faire avancer la soul, et peut-être même faire bouger les lignes de la pop elle-même. C’est dans cet état d’esprit qu’il composa (Sittin’ On) the Dock of the Bay, une méditation soul, à la structure étrange, ponctuant la mélodie d’un sifflement qui fera date. Chez Stax, on a des doutes sur la nouvelle direction. L’enregistrement du morceau se termine le 7 décembre. Trois jours plus tard, Otis Redding meurt dans les eaux gelées du lac Monona. Publié au mois de janvier suivant, The Dock of the Bay deviendra son plus grand tube…

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