Le fils de François de Roubaix nous raconte la BO culte des Lèvres rouges

François de Roubaix © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors qu’Harry Kümel est mis à l’honneur au Festival d’Ostende, la bande originale des Lèvres rouges, son film érotico-vampirique de 1971, sort enfin en vinyle et en CD. Le fils de François de Roubaix, son compositeur, raconte.

Quand le compositeur de musiques de films François de Roubaix, génie sonore du cinéma français, se noie dans un accident de plongée le 21 novembre 1975 à Tenerife, son fils Benjamin a six mois. Il est sur le bateau avec sa mère ce jour-là. Mais encore aujourd’hui impossible d’appeler papa cet homme qu’il n’a pas connu. Le quadra gère l’héritage paternel avec sa soeur Patricia. Ce 13 septembre, il est au festival international d’Ostende pour la projection du film de vampires érotique Daughters of Darkness, Les Lèvres rouges en VF, réalisé à l’aube des années 70 par le Belge Harry Kümel, et l’inscription pour le coup de ce dernier au walk of fame du littoral. Ce long métrage avec Delphine Seyrig tourné à Bruges, Bruxelles, Meise et dans la ville d’Arno, c’est François de Roubaix qui en a composé la musique. Elle sort enfin aujourd’hui, pour la première fois, en vinyle et en CD.

À l’époque, la BO du maître n’avait eu droit qu’à un 45 tours et deux titres: le thème principal du film et Les Dunes d’Ostende. « Je ne sais plus comment je l’ai découvert, avoue Benjamin. Je pense l’avoir vu un jour à la télé. Je me demande si ce n’était pas sur Arte, qui l’achète pratiquement tous les ans. J’en avais vaguement entendu parler. Quand j’ai commencé à m’occuper des affaires de François, je me suis intéressé entre guillemets à des films mineurs. Les Lèvres rouges est devenu culte, certes, mais Le Vieux Fusil et La Scoumoune ont davantage marqué le cinéma français et le grand public. »

Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges
Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges

Le fils a été happé par la musique du père. Comme pas mal de rappeurs d’ailleurs. Lil Wayne, Ice-T, Vado, Lloyd Banks… Beaucoup ont samplé la BO de Daughters of Darkness. Un ostinato de harpe surtout, qui correspond à une scène où l’acteur principal frappe de sa ceinture sa jeune épouse… « Le fait que cette musique soit autant utilisée -la plupart du temps sans autorisation- m’a mis la puce à l’oreille. Et quand j’ai commencé à travailler sur l’édition, les droits pour ce film, je l’ai regardé de plus près. J’en ai parlé avec ma mère, la deuxième compagne de François. Ils étaient allés ensemble à Ostende il me semble. Juste pour s’imprégner des lieux. »

Revivre le film

La musique en question, très orchestrale, comporte nettement moins de synthé que La Scoumoune ou d’autres choses composées par de Roubaix pour la télé. « C’est sorti à la même époque que Le Venin de la peur (Ennio Morricone) et Shaft (Isaac Hayes). Un temps où on mélangeait les orchestres symphoniques avec le disco et le funk. Parfois, le résultat était vraiment ridicule. Parce que faire groover un orchestre, c’est pas évident. Surtout un orchestre européen. Mais quand c’est bien fait comme ici… »

Le film « rose » de vampires, François de Roubaix n’en était pourtant pas particulièrement coutumier. Benjamin n’en connaît qu’un autre dont il a composé la musique: Morgane et ses nymphes. Une bande originale sortie à la même époque mais qu’il avait, celle-là, signée de son pseudonyme, Cisco El Rubio, « François le Blond ». Ce qu’il fit aussi, dans un registre juste érotique, pour Où sont passées les jeunes filles en fleurs? « L’explication de François, on ne l’aura jamais. Et Kümel n’en a aucune idée. Pour lui aussi, c’était un petit projet. Au même moment, il lançait le tournage de Malpertuis avec Orson Welles. Il ne pensait pas que Les Lèvres rouges prendraient cette ampleur. À mon avis, François a été sensible au film. À la façon dont il a été fait. En plus, Kümel est belge. Ce qui est intéressant. Mon grand-père, le papa de François, était né à Anvers. »

Le fils de François de Roubaix nous raconte la BO culte des Lèvres rouges

Quand il a eu son bac, Benjamin a vécu pendant un an avec ses grands-parents paternels. « C’est là que j’ai commencé à embrasser la vie de mon père. De temps en temps, enfant, j’avais besoin d’écouter ses disques. On avait des vinyles à la maison. Mais ses albums étaient rangés avec les autres. Il n’y en avait pas non plus des masses. Les Plus Belles Musiques de François de Roubaix , peut-être quelques 45 tours… C’est ma soeur qui, avant moi, a réalisé un gros travail de réédition. »

Musicien lui aussi, Benjamin avait sorti en 2012 L’Homme des sables, un disque sur lequel il revisitait l’oeuvre de son père et présentait quelques-unes de ses propres compositions. Ici, il a pris en main la direction artistique… « Je voulais qu’on puisse revivre le film en écoutant le disque. J’ai vraiment essayé d’en conserver la chronologie et la structure. J’ai regardé Les Lèvres rouges sur Pro Tools avec la musique. Et j’ai cherché à remonter la BO dans l’ordre du film avec ce qu’on avait numérisé des bandes. Ce n’est que plus ou moins respecté. Certaines scènes ne contiennent que 30 secondes de musique. Mais je voulais qu’on entende tout ce qu’il y a dans le film. Les introductions par exemple.« 

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Il y a des inédits aussi. La Fanfare de Bruges, plus joyeux, pour une scène qui a dû être coupée au montage. Ou encore Dracula 68 Woodstock (Des poissons et des hommes) composé pour un documentaire aquatique… « Il figurait sur la même bande que Les Lèvres rouges . Ça avait une connotation un peu lugubre. C’est différent mais de la même époque. Il était dans le même mood. Ça faisait sens. » La version CD propose par ailleurs quelques relectures personnelles et saugrenues de Benjamin comme Le Rap des Lèvres rouges… Une manière de se réapproprier ce père qu’on entend aujourd’hui chez des Forever Pavot, des Flavien Berger, des Turzi, des Sébastien Tellier… « Beaucoup de monde se revendique de François. Il fut l’un des précurseurs du home studio. Il a poussé ça assez loin et ça touche beaucoup de gens au niveau de la création. Puis contrairement à Ennio Morricone ou Vladimir Cosma, compositeurs géniaux mais très cérébraux, François jouait. C’était ludique. Il avait un côté sympathique auquel on peut s’identifier et auquel s’identifient pas mal de musiciens français. J’en suis heureux mais je voulais planter un drapeau sur quelque chose qui, entre guillemets, m’appartient. »

Daughters of Darkness, chez Music On Vinyl. ***(*)

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