Style et courage

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Keywan Karimi, jeune cinéaste iranien opprimé dans son pays, porte une parole libre, sur des images souvent géniales.

Drum (1) – Writing on the City (2)

De Keywan Karimi. Avec Amirreza Naderi, Sara Ghlizade, Ibrahim Zanjanian. 1 h 34. Dist: Coming Soon. (1)

De Keywan Karimi. 1 h Dist: Coming Soon. (2)

9

Le 14 décembre 2013, au petit matin, les Gardiens de la Révolution se sont présentés au domicile de Keywan Karimi à Téhéran. Le jeune cinéaste allait rester deux semaines enfermé dans la prison d’Evin, en cellule d’isolement et interrogé quasi quotidiennement. Libéré sous caution, il dut se présenter au tribunal à huit reprises entre mars 2014 et septembre 2015. Le 13 octobre, la sentence tombait: six ans d’enfermement et 223 coups de fouet, pour plusieurs charges dont une principale: « insulte à la religion ». Son crime? Un film. Un documentaire intitulé Writing on the City où le réalisateur compile les slogans et graffitis apparus sur les murs de la capitale iranienne depuis la révolte contre le Shah jusqu’aux critiques visant aujourd’hui les autorités du régime théocratique. La mobilisation internationale de collègues par centaines et la procédure d’appel à son jugement auront permis une réduction de peine. « Seulement » un an de prison, désormais, le nombre de coups de fouet restant inchangé… Keywan Karimi aura 32 ans le 21 septembre. Cinéaste en danger, il est aussi un des plus talentueux réalisateurs de la nouvelle génération, pas seulement iranienne.

Il aura suffi d’un film pour lui attirer les foudres d’un régime punissant de mort l’athéisme et l’homosexualité, et réprimant régulièrement les artistes (comme Jafar Panahi, autre cinéaste « empêché »). Un second, Drum, est venu confirmer que dans la fiction aussi, Karimi se révélait passionnant. Les deux oeuvres figurent sur un DVD indispensable. Writing on the City parcourt l’histoire d’une ville et d’un pays à travers les messages s’affichant sur les murs de Téhéran, cris de rébellion des opposants mais aussi slogans et images du pouvoir. Avec un commentaire en voix off et au féminin (ce n’est pas un détail), et quelques plans de jeunes contestataires masqués, la bombe de couleur à la main, forçant à leurs risques et périls une liberté d’expression que la théocratie leur refuse. Drum est tout autre chose. Une fiction anxiogène autour d’un avocat auquel est remis un mystérieux paquet. Un objet dont la possession va l’entraîner dans une spirale de lourds périls… Téhéran est à nouveau un personnage à part entière. « Si j’avais les moyens, je n’hésiterais pas à cramer cette ville!« , lâche au tout début le juriste désabusé. On peut songer, en regardant ce Drum au noir et blanc sublime, au film d’Orson Welles Le Procès, adapté de Kafka. Pour le sens de l’absurde et d’une menace totalitaire annihilant toute possibilité de défense. Mais aussi pour le style, que Karimi maîtrise spectaculairement, dans le mouvement comme dans le plan fixe. Un artiste majuscule, que ses ennuis judiciaires nous rendent encore plus précieux, plus proche.

LOUIS DANVERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content