Spleen du désert

Les Filles de Illighadad

La première fois que Fatou Seidi Ghali a quitté le Niger, c’était l’an dernier, pour donner un concert en Suède. La jeune femme et sa cousine Alamnou Akrouni avaient alors débarqué en plein hiver. La neige avait évidemment envahi les rues. Elles n’avaient jamais vu ça. « Chez nous, si vous voulez de la glace, vous devez en acheter. Là, il y en avait partout, par terre, sur les toits, etc. » Allongée sur sa paillasse, dans les « loges » des artistes du festival Taragalte, Fatou raconte l’anecdote paresseusement. Le visage imperturbable à la Buster Keaton, elle ne sourit pas. Elle ne sourit jamais.

Avec Alamnou, elles forment Les Filles de Illighadad, du nom du petit hameau dont elle est originaire, dans la région de Tahoua. Inutile de chercher le bled sur Google Maps: il ne s’y trouve pas. En gros, l’endroit se résume à « quelques tentes, une école et quelques cases en argile« , explique leur cousin Ahmoudou Madassane, qui les accompagne sur scène et qui sert de traducteur. Récemment, leur manager français a voulu les retrouver sur place: il a dû rebrousser chemin. Impossible de financer l’escorte armée exigée par les autorités, dans une région où les groupes djihadistes ont tendance à pulluler…

C’est pourtant bien de là qu’a démarré l’histoire musicale des Filles. Il y a trois ans, l’Américain Christopher Kirkley, musicologue passionné par les traditions du Sahara, dérive sur le Net et finit par tomber sur une vidéo de Fatou jouant de la guitare lors d’une fête locale, à Illighadad. Il est forcément intrigué: dans la tradition touareg, et la musique tendé en particulier, les femmes jouent des percussions, mais jamais de guitare. En creusant, il découvre que Fatou est l’une des deux seules musiciennes à faire exception à la règle. Il décide alors de se rendre sur place, guidé par Ahmoudou Madassane. Sur place, il enregistre une série de morceaux, qu’il finit par publier sur son label Sahel Sounds. Entièrement acoustique, la musique proposée est saisissante. Version rurale du blues touareg, les morceaux des Filles d’Illighadad sonnent comme des comptines ancestrales, instantanément captivantes.

Aujourd’hui, les filles sont trois (Mariama Assouan les a rejointes). Lors de leur dernière tournée, elles ont profité d’un arrêt à Cologne pour rentrer pour la première fois en studio. Le résultat de ces sessions vient de sortir. Il est intitulé Eghass Malan. « C’est le nom d’un chameau. Celui qui, dans la tradition, sert à payer la dot« , détaille Fatou. Passée à l’électricité, leur musique n’a rien perdu de son immédiate beauté, ni de sa tenue hiératique. C’est pareil sur scène. Alamnou tapant sur sa calebasse, placée sur une bassine d’eau, et Fatou déclinant les arabesques sur la guitare, accompagnée par Ahmoudou Madassane. Stoïques, dans leur monde, entremêlant leurs voix avec un naturel confondant, Les Filles sont punk à leur manière. Finalement, au bout de quelques morceaux, Fatou laisse tout de même deviner un sourire. Le désert se mérite.

Les Filles de Illighadad, Eghass Malan, distr. Sahel Sounds.

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L.H.

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