Sens dessus dessous

In Many Hands de Kate McIntosh, une performance sans paroles où l'on explore ses capacités tactiles. © © DIRK ROSE

ORGANISÉ PAR LE KAAITHEATER DANS UNE DIZAINE DE LIEUX À BRUXELLES, LE FESTIVAL BIENNAL PERFORMATIK PROPOSE UN PANORAMA DES MULTIPLES FACETTES DE LA PERFORMANCE. LE POINT SUR CETTE FORME QUI RÉSISTE À TOUTE TENTATIVE D’ENFERMEMENT.

Elles viennent d’horizons très différents, ont des pratiques diverses, mais sont toutes les trois d’accord: pour la Néo-Zélandaise Kate McIntosh, la Belge Miet Warlop et la Norvégienne Mette Edvardsen, le plus important dans la performance, c’est qu’elle rassemble les gens. D’autant plus à l’ère des nouveaux médias aux pouvoirs isolants accrus. « Le fait de partager ensemble un moment en live est vraiment crucial pour moi et c’est ce qui explique que je reste proche de cette forme artistique, précise Mette Edvarsen, danseuse de formation, arrivée en Belgique dans les années 90 pour intégrer les Ballets C de la B et qui présente à Performatik la première belge de oslo (les 28 et 29/03), une réflexion sur le format spectaculaire dont le titre est l’anagramme, le solo.

Au-delà de cette base de l’événement vécu ensemble autour du corps agissant du performeur, les contours de la performance sont résolument flous, flottant quelque part au carrefour des arts de la scène et des arts plastiques. « L’intérêt de la performance, c’est qu’elle peut dynamiter les choses, renverser certaines logiques« , explique pour sa part Miet Warlop, plasticienne issue de la KASK, l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand, et parvenue à la performance via un projet de tableaux vivants. « Je voulais créer des tableaux à l’intérieur desquels le public pourrait se promener et je me suis dit que plutôt que de réaliser des copies de personnages, je pourrais tout simplement placer des gens dedans. C’est comme ça que ça a commencé. Le fait que cette création ait été présentée au Vooruit (où Miet Warlop est actuellement artiste en résidence pour cinq ans, NDLR), donc dans une salle de spectacle plutôt que dans un musée ou une galerie, a ouvert des perspectives. Le théâtre est un domaine assez fermé, l’intérêt de la performance est de le faire penser de manière plus large. »

Miet Warlop intervient trois fois dans Performatik. Du début à la fin puisqu’elle présente lors de la soirée d’ouverture (le 24/03) l’événement sonore et sculptural Crumbling Down, un choeur de mains de plâtre qui se désintègrent au fur et à mesure qu’elles « applaudissent », et en clôture une performance tenue secrète (01/04). Et une troisième fois avec Horse. A Man A Woman A Desire for Adventure lors de l’ouverture à Bozar de l’exposition consacrée à Yves Klein, précurseur du happening (voir aussi le Focus de la semaine prochaine). Là où le Français au bleu déposé utilisait dans les années 60 des femmes nues comme pinceaux pour ses Anthropométries -ou le summum de la femme-objet-, Miet Warlop joue dans sa pratique sur la frontière entre objet, animal et humain, habillant des chaises, donnant vie à une table et une boîte en carton, ou faisant vomir de la couleur à des créatures emperruquées dans une séance épique d’action painting.

Être femme

Comme le prouve la programmation de Performatik (avec aussi la présence de Grace Schwindt, Hedwig Houben, Laure Prouvost, Ieva Miseviciute, Orla Barry, Nora Kapfer & Inka Meisner, Müge Yilmaz…), il est important de souligner que la performance constitue peut-être le plus féminin des champs artistiques contemporains. Avec des figures tutélaires comme Marina Abramovic (2 000 kilomètres à pied sur la Grande Muraille de Chine pour y retrouver en son milieu son ex-compagnon Ulay, ou les yeux dans les yeux avec 750 000 visiteurs de sa rétrospective au MoMA en 2010…), Gina Pane (épines de rose insérées dans le bras, ou escaladant pieds nus une échelle aux barreaux garnis de lames de rasoir…), Orlan (se métamorphosant à travers une multitude d’opérations de chirurgie esthétique…) ou Valie Export (déboulant dans un cinéma porno avec pantalon stratégiquement découpé au niveau de l’aine et une mitraillette…).

« Même si ce n’est pas quelque chose auquel je pense de manière spécifique, je suis une femme et ça influence certainement mon travail, déclare Kate McIntosh, performeuse venue elle aussi de la danse. Je sais que le terrain a été défriché pour me permettre de travailler comme je le fais maintenant et que je peux remercier la génération qui m’a précédée d’avoir rendu cela possible.« Dans son dernier triptyque, l’artiste néo-zélandaise s’est penchée sur les relations interactives avec le public. « La participation dans un contexte artistique est quelque chose que je manipule avec beaucoup de prudence, explique-t-elle. J’essaie de créer des oeuvres où les gens qui comme moi sont sceptiques par rapport à la participation peuvent être suffisamment en confiance pour s’impliquer.« Dans son Worktable, le « spectateur » était invité individuellement à casser des objets. Dans All Ears, le public devenait une sorte d’orchestre producteur de son qui était enregistré. Dans la performance sans paroles In Many Hands (présenté à Performatik les 31/03 et 01/04), on aura l’occasion d’explorer ses capacités tactiles. Une approche sensorielle qui rejoint celle de Mette Edvarsen, qui s’intéresse particulièrement à la manière d’élargir la conception de la danse. « La danse n’est pas seulement une forme d’art visuelle: on regarde, bien sûr, mais d’autres sens sont impliqués: on sent quelque chose, on écoute ce qui se passe autour de soi. Nous sommes très imprégnés par la culture visuelle, mais il y a d’autres manières d’être au monde. »

Voilà sans doute la plus belle des invitations lancées par Performatik: découvrir comment être autrement au monde.

PERFORMATIK, DU 24/03 AU 01/04 DANS DIVERS LIEUX À BRUXELLES. WWW.PERFORMATIK.BE

TEXTE Estelle Spoto

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