Roman de guerres

© FERRANTE FERRANTI

Pour son onzième roman, Christian Garcin colle aux basques élimées de vétérans américains éreintés de mépris social et de souvenirs glaçants.

Pour un auteur français, s’aventurer sur le terrain d’un thème déjà abondamment rebattu outre-Atlantique -celui des vétérans paupérisés, démolis par les conflits orchestrés par ce vieux crocodile d’Oncle Sam-, confine bien souvent à l’entreprise perdue d’avance. Heureusement pour lui, Christian Garcin ( Des femmes disparaissent, Selon Vincent) bénéficie d’une très solide et conséquente expérience littéraire tous formats et thématiques, qui lui permet de slalomer à l’aise entre les écueils propres à cet exercice, jusqu’à livrer un texte aussi politique que poétique sur la question. Hoyt, Matthew et Steven sont trois SDF, sortes de hobos sédentarisés à Las Vegas, dans « un monde souterrain en partie inexploré et secret, une ville bis, un envers du décor à l’ombre des lumières et des paillettes clignotantes du Strip ». Avec les quelques toxicos fracassés qui les jouxtent, les rares autres vétérans ravagés qui les visitent et les animaux du cru (sauterelles, mulots, et puis le chien Armstrong), il forment le peuple des collecteurs d’eau, établi tant bien que mal à proximité des égouts de LA ville du bling tapageur, où ils rongent leur frein en pansant les traumatismes à la gnôle, aux palabres ou à la poésie. Ils ont servi de chair à canon corvéable du Vietnam à l’Afghanistan: certains ne se remettent pas d’avoir dû raser des villages en appuyant, assis à des milliers de kilomètres, sur un bouton, d’autres d’avoir dû égorger au couteau d’inconnus ennemis croisés dans des tunnels cloaqueux… pour être finalement remerciés d’une petite tape amicale sur l’épaule puis d’une pension bientôt tarie (et estime-toi heureux, fiston, de tenir encore sur tes deux jambes).

Roman de guerres

Polar mémoriel

Pourtant Hoyt, doyen respecté du coin, mutique par choix (au moins au début du récit), fait preuve d’une curiosité certaine pour la connaissance sous toutes ses formes, surtout celles qui lui permettent de se projeter le plus loin possible des zones de combats: la poésie de Les Murray, T.S. Eliot ou William Blake, qui rythme le cours de ses impressions (« tout ce qu’il lisait lui semblait avoir été écrit pour être lu par lui au moment précis où il le lisait ») , mais aussi la théorie des cordes, la cosmologie ou la philosophie environnementale. Il glane des bribes de ces dernières en causant ou se plongeant dans les tonnes de livres abandonnés dans les motels environnants, qui le transforment en « voyageur temporel » capable, d’un clignement d’oeil, de se projeter en 2570 ou dans sa petite maison d’enfance où demeurent des secrets enfouis auxquels il est désormais en âge de se confronter. Ainsi, tandis qu’il remonte le cours du temps bien conscient qu’il y lèvera des lièvres, la petite communauté se voit bientôt secouée par le meurtre violent d’un ex-tueur sous uniforme, les apparitions anachroniques d’une mystérieuse femme rousse ou des pluies d’oiseaux morts qui contribuent à livrer de nouvelles clés aux protagonistes autant qu’à renforcer l’atmosphère envoûtante, attrayante du roman. En accordant à ses personnages un statut de va-nu-pieds philosophes, en les montrant partagés entre les horreurs du passé et la solidarité galérienne du présent, Christian Garcin propose un enthousiasmant polar mémoriel.

Les Oiseaux morts de l’Amérique

de Christian Garcin, ÉDITIONS Actes Sud, 222 pages.

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