Résidence d’été

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Jusque fin août, la chanteuse An Pierlé s’installe au MSK de Gand. Une belle occasion pour le visiteur de s’approcher du processus de création.

On savait qu’An Pierlé était une grande voix et pas seulement belge. On savait également qu’elle était une interprète hors pair. Et enfin, on savait qu’elle avait un véritable univers, pas si loin que cela de celui de Robert Wyatt. On conviendrait que l’exemple n’est pas très original mais sa version de Such a Shame de Talk Talk est sans doute l’une des plus belles qui soient. Déroulant toute l’étendue de son élasticité vocale et sa virtuosité au piano, Pierlé dépasse le maître, en l’occurrence Mark Hollis qui fait pâle figure devant tant de nuances. Ce que l’on ne savait pas de Pierlé, en revanche, c’est sa propension à sortir de sa zone de confort, à se décontextualiser. Elle le prouve durant tout cet été en prenant ses quartiers au MSK de Gand -une ville à laquelle elle est profondément attachée, même si elle est originaire de Deurne. Il semblerait qu’après Arches (2016), son dernier album, la « fille au ballon » ait décidé de « ne plus être obligée à rien« . Dans un esprit de transversalité et de déconstruction des codes, elle a contacté Catherine de Zegher, la directrice de l’institution, pour lui faire cette proposition décalée imaginée dans la foulée d’une révélation lors de l’accrochage de 2016 consacré à Marthe Donas. Son idée? Importer le processus de création musicale à l’intérieur du musée. L’initiative ne passe pas inaperçue à l’heure où, lors de la Biennale de Venise, un Xavier Veilhan a transformé le Pavillon français en studio de musique. Plus que jamais, arts plastiques et création musicale se tendent la main. Peut-être, comme le pense Veilhan, « parce que le son pénètre plus profondément l’esprit humain« .

Règles du jeu

An Pierlé a fixé elle-même le périmètre de son intervention. Au figuré, comme au propre. Concrètement, elle évolue au centre d’un espace délimité par une corde au sein duquel elle a importé son piano et son ordinateur. Ce dispositif fait d’elle une oeuvre, pas seulement sonore, parmi les oeuvres. Peu tentée par la sédentarité, la compositrice de The Golden Dawn a fait le choix de changer régulièrement de contexte, chaque salle ayant son acoustique, son odeur, sa teinte. Mais ces déplacements ont également pour horizon une reterritorialisation qui enfonce le clou d’une démarche finement conceptuelle. La musique modifiera-t-elle le regard que le public porte sur l’art? Telle est évidemment la question qui ne manquera pas de se poser. Bien vu également, l’artiste s’est astreinte à un horaire précis: elle officie tous les jours ouvrables, entre 10 et 15 heures. On aime aussi le fait que l’intéressée ait décidé d’ouvrir le cercle de son nouveau monde à d’autres talents. Photographes, écrivains ou musiciens se rendent régulièrement à son chevet pour participer à l’effort maïeutique. Il reste que le geste le plus courageux de sa part est celui qui consiste à accepter de rencontrer une heure par jour le grand public. Le temps d’une discussion ou même d’un selfie, An Pierlé prouve que le succès ne fait pas forcément enfler le melon. À contre-courant de l’époque, cette accessibilité sans retour sur investissement pourrait bien être une performance artistique ultime pour le temps présent.

www.muskgent.be

PERFORMANCE. Musée des Beaux-Arts de Gand (MSK), 1 Fernand Scribedreef, à 9000 Gand. Jusqu’au 31/08.

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Michel Verlinden

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