Plaqué or

Primero, Swing et Loxley de L'Or du Commun.

Pour sa quatrième édition, le festival Francofaune a notamment laissé « carte blanche » aux rappeurs bruxellois de L’Or du Commun. Portrait des outsiders les plus « simples et funky » de la nouvelle vague hip-hop belge.

On a beau ne pas trop s’attacher aux chiffres, certains s’affichent comme des caps. Le million, par exemple. Début septembre, c’était le nombre de vues atteint par le clip d’Apollo sur YouTube. « Pour être honnêtes, on n’en espérait pas tant« , dixit Swing (alias Siméon Zuyten), qui avec Loxley (Robin Conrad) et Primero (Victor Pailhès), forment L’Or du Commun. Depuis lors, la vidéo -balade en Golf GTI, filtres mauves et scène de party sur le parking- a engendré 300 000 clics supplémentaires: Apollo dans la stratosphère. « ODC dans galaxie. »

Ne comptez toutefois pas trop sur le groupe bruxellois pour rouler des mécaniques. Il préfère juste savourer. Avec, en plus, ce goût particulier qu’ont les victoires quand elles succèdent au doute et à la confusion. C’est que L’Or du Commun a bien failli louper le train. Ça s’est joué à pas grand-chose. Un premier EP en 2013 (L’Origine), un deuxième en 2015 (L’Odyssée). Et puis, tout à coup, la machine qui s’accélère tout autour d’eux. Le rap belge, en 2016, devient hype. Damso est disque d’or en France, Hamza emballe la Toile. Il y a aussi le carton de Bruxelles arrive, de leur pote Roméo Elvis. Le morceau devient l’un des hymnes de cette nouvelle génération rap décomplexée et soudée. Plusieurs de ses membres apparaissent d’ailleurs dans la vidéo. Dont L’Or du Commun.

C’est l’une des bonnes nouvelles du rap belge: il y a de la place pour tout le monde. L’ODC a-t-il envie de prendre la sienne? Swing toujours: « Après L’Odyssée, on s’est un peu retrouvés dans une situation de transition, pas toujours simple, entre une attitude un peu dilettante et l’envie de développer tout ça de manière plus professionnelle.« Dans les têtes, les choses sont claires, c’est le rap qui les mobilise. Mais à quel prix? Le problème n’est pas seulement de pouvoir remplir le frigo. « C’est la question de ton lien avec la communauté. Trouver sa place n’est jamais évident, d’autant plus quand on choisit des chemins comme les nôtres. Donc le but est d’essayer de tracer un itinéraire perso, où l’on réussit à la fois à investir notre passion et à payer le loyer.« Au printemps dernier, L’Or du Commun a tout de même fini par sortir un troisième EP, intitulé Zeppelin. Sur le morceau Léon, en particulier, Swing raconte: « En marge de la société, on passe pour des demeurés/En voulant faire de notre rap plus qu’un passe-temps/En taffant dur tous les jours/Sans le rap, je serais devenu fou depuis longtemps. » Ou encore, pour résumer toutes les contradictions et les dilemmes qui ont pu le traverser: « Je passe ma vie à me dire: « Mais pourquoi me contenterais-je de ce que le bon sens consent?« That’s the question…

Or de doutes

L’Or du Commun se forme en 2012. C’est d’abord une histoire de bande, de potes qui se croisent. Certains depuis longtemps. Loxley: « Avec Primero, gamins, on habitait à deux rues l’un de l’autre -nos parents se connaissaient avant même qu’on naisse. Avec le temps, nos chemins se sont un peu écartés. Et puis, via un ami commun qui avait un studio chez lui, on s’est retrouvés pour faire du rap. » L’action se déroule dans le sud de Bruxelles, du côté de la MJ Wiener, à Watermael-Boitsfort. Félé Flingue (Felice Zuyten) est aussi dans le coin. Il ramène Swing, son cousin, dans le jeu. Ils sont alors quatre à s’acharner sur le micro.

Au départ, les rimes sont posées sur des instrumentaux piqués sur le Web. Primero: « Puis, un jour, on s’est retrouvés à donner un show, sur un petit plateau place de Moscou, à Saint-Gilles. C’est là qu’on a rencontré l’ingénieur du son, L’OEil Écoute Laboratoire, avec qui on bosse toujours. » En 2013, L’ODC lâche son premier son officiel, Page blanche. Concocté par le beatmaker bruxellois Shungu, le morceau est laid-back, jazzy. À mille lieues des dernières évolutions rap/trap, il ramène plutôt vers la scène boom bap américaine des années 90. Swing: « Avec Félé Flingue, c’était vraiment ce qui nous secouait, beaucoup plus que le rap français, qui ne me faisait pas du tout rêver.« 

Sur la scène belge, L’Or du Commun devient donc le groupe au son « old school », piochant son et attitude décalée dans l’âge d’or des nineties, quelque part entre les Sages Poètes de la Rue et le Saïan Supa Crew. Symbolique: en 2015, la pochette de L’Odyssée est confiée à Sozyone, membre des têtes brûlées de De Puta Madre, collectif schaerbeekois auteurs du cultissime Une ball dans la tête, en 1995…

Dans ses textes, L’Or du Commun joue volontiers du second degré. Par l’absurde, cela donne par exemple des titres comme La Tarte aux frites, rappé sur une production de Easy Mo Bee (rappeur américain affilié au Wu-Tang Clan), ou encore des plans western-BD comme Les Daltons. Très loin donc des clichés « rap de rue ». Loxley: « Sincèrement, on se fout des codes. On n’a pas envie de s’enfermer. »

Jus funk

Confirmation avec Zeppelin, paru en mai dernier. L’Or du Commun y franchit une nouvelle étape, en collaborant avec le beatmaker lyonnais Vax-1. L’intéressé raconte la connexion: « À la base, le premier contact s’est fait par le biais d’une collaboration avec Félé Flingue, que j’avais invité à rapper sur mon projet Acubens.« Magie des Internets: tout se fait alors à distance. »C’est fin 2015 que nous nous sommes vraiment rencontrés lorsque j’ai organisé un concert à Lyon avec mon collectif Mégafaune, lors duquel nous avons programmé L’ODC. Ils sont venus chez moi, le courant est directement passé, non seulement musicalement mais aussi humainement! » Une résidence d’une semaine en Ardèche, plusieurs allers/retours sur Bruxelles, et l’EP Zeppelin est dans la boîte. Aussi simple que ça? Pas tout à fait. En cours de route, Félé Flingue a préféré quitter l’aventure, parti former Le 77. Sans rancune, ni amertume.

Plus musical, Zeppelin a le bon goût d’élargir la palette du groupe. Les huit titres baignent ainsi dans un jus funk 70’s-80’s assez jouissif, tout en sonnant extrêmement moderne (un peu à la manière de ce qu’a pu réussir, dans un autre genre, Anderson .Paak avec son album Malibu). Au passage, L’ODC ose aussi davantage le chant. « C’est surtout grâce à Swing, glisse Loxley, ça fait des années qu’on le pousse dans cette direction! » Les textes aussi ont évolué, plus personnels. Entre deux délires (Apollo ou le tube en puissance Mets la gomme), le trio ose des touches plus « impressionnistes ». Le titre 1000, par exemple. Après l’hymne Bruxelles Vie de Damso ou le Bruxelles arrive de Roméo Elvis, L’ODC y livre une nouvelle facette, pastel et rêveuse, de la capitale. « Les semelles de mes Nike embrassent les dalles de la chaussée/Mouillées par la rosée matinale/Rocé dans le casque/Essaie de mettre mes problèmes de côté« , glisse Swing, qui n’a besoin que de quelques mots pour installer cette autre version de la ville, à fleur de spleen. Plus loin, il est encore question des liens qui parfois s’étiolent (Étrangers), ou même de la toute fin, et de ce qu’on laissera derrière (« Avant qu’on m’oublie, qu’on ouvre la boîte/Avant qu’on mélange mes cendres et le pollen », rappe Loxley).Partout affleurent ainsi les doutes pour un groupe qui n’aime rien tant que cogiter, bien plus que d’appuyer des certitudes. « C’est en rentrant de la fête, qu’en rue je me questionne/Un peu déçu, même si c’est la faute à personne« , médite Primero (Étrangers).

Depuis la sortie de Zeppelin, le groupe s’est retrouvé au générique de Niveau 4 -la seconde édition du grand raout rap belge organisé par le festival Couleur Café, et l’un des moments forts de l’été (au point d’être rejoué fin novembre à l’AB). Ces derniers mois, Swing a également accompagné Roméo Elvis un peu partout sur scène, avant de proposer d’ici la fin de l’année son premier solo (l’EP Marabout), tandis que Loxley a commencé à produire des sujets vidéo (la série Flag) pour Tarmac, la toute nouvelle webradio « urbaine » de la RTBF. Tout cela avant un premier véritable album, pressenti pour l’an prochain.

« Quel chemin dois-je emprunter?« , se demandait encore Swing sur 1000. Désormais, le groupe semble avoir trouvé la réponse. Stable comme un zeppelin

L’Or du commun, Zeppelin, distr. La Brique.

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Rencontre Laurent Hoebrechts

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