Pères spirituels

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Sur Cocoa Sugar, les Young Fathers font mine d’arrondir les angles. En vrai, la pop des écossais n’a rien perdu de sa rugosité. Ni de son pouvoir euphorisant

Il leur a fallu à peine deux albums pour réaliser ce que d’autres mettent parfois une carrière à atteindre: trouver leur propre son, instantanément reconnaissable. Cela ne veut pas dire que les Young Fathers n’ont pas tergiversé. Trio écossais racialement mixte -deux Noirs (Alloysious Massaquoi, né au Liberia, et Kayus Bankole, d’origine nigériane) et un Blanc (Graham Hastings)-, formé à Édimbourg, les Young Fathers ne se sont pas « faits » en un jour: on peut encore retrouver des vidéos d’eux sur YouTube, datant du début des années 2010, sous la forme d’un groupe hip hop alors relativement banal. À l’époque, ils osaient même quelques chorés pop qui les rapprochaient plus du boys band que de l’hydre à trois têtes, sombre et taciturne, qu’ils sont devenus.

Car depuis 2014, et la sortie de leur premier véritable album, Dead, c’est bien ce que les Young Fathers incarnent: un collectif aussi passionné que tempétueux, dont on ne sait jamais trop bien quand on le voit sur scène s’il cherche le KO ou la transe shamanique. À la surprise générale, Dead remporta le Mercury Prize. Une récompense assez prestigieuse pour avoir tétanisé par la suite quelques-uns de ses lauréats. Pas les Young Fathers. Un an plus tard, ils enchaînaient déjà avec White Men Are Black Men Too, ouvrage pop tout aussi tendu et habité, et, pour le coup, politiquement chargé.

Pères spirituels

Quatre ans plus tard, le trio est de retour avec Cocoa Sugar. Pour une fois, le titre ne cherche pas forcément directement la confrontation. Avec ses connotations rondes et sucrées, il n’est même pas loin de suggérer un troisième album plus pop, chaud, accessible. C’est en partie le cas. Dès l’entame, See How fonctionne comme une ballade presque normale, si elle n’était ponctuée de couinements de cuivres dissonants. De son côté, le morceau In My View est certainement, avec son refrain imparable, le single le plus évident et efficace que le groupe a pu sortir jusqu’ici. Pour autant, le titre reste loin des canons pop, continuant de cultiver une certaine bizarrerie.

C’est que le groupe entretient un vrai esprit de contradiction, y compris dans sa propre musique. Tribale ( Wire ou Fee Fi, rappelant le Tom Waits de Bone Machine), bruitiste, elle se veut toujours directe et accessible -la plupart des morceaux ne dépassant pas les trois minutes. Politiques, les Young Fathers préfèrent également éviter les grands slogans -d’autant plus aujourd’hui que tout le monde semble s’y mettre, poussé par les turbulences de l’époque. Ce qui n’empêche pas un certain discours, souvent codé ou passé par le tamis de l’ironie. Annoncé par des cris d’horreur, le morceau Wow raconte exactement l’inverse de ce qu’il promet, rumination kraut grésillante, où les « choobidoowap » ne font pas illusion ( » What a time to be alive/Everything’s so amazing »). Pour autant, s’il reste abrasif, Cocoa Sugar ne sonne jamais plombé. Le gospel/vaudou des « Jeunes pères » a beau être tordu, il continue de créer l’euphorie.

Young Fathers

« Cocoa Sugar »

Distribué par Ninja Tune. En concert le 06/04, à l’AB, et le 08/07, aux Ardentes.

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