Panique au musée

© Benjamin Moravec

À Gand, le Musée Dr. Guislain réunit une vingtaine d’artistes contemporains autour d’une émotion aussi omniprésente que savamment cultivée: l’angoisse.

L’angoisse (ou la peur, on utilisera ici les deux termes indistinctement, bien qu’un certain usage psycho-philosophique veuille que l’angoisse n’ait pas d’objet particulier contrairement à la peur) est une dimension essentielle de notre être au monde. Comment pourrait-il en être autrement pour nous qui sommes projetés dans une existence dont on ne nous a pas dit si elle avait un sens? Craintes et tremblements cheminent avec nous depuis nos origines. Cette émotion est ambivalente. Pour preuve, Kierkegaard la percevait comme une condition de possibilité de la liberté… à condition d’avoir la foi. À l’heure actuelle, son statut a changé, l’angoisse est hystérisée et subie. Le sociologue Frank Furedi a mis à jour cette « culture de la peur » qui domine notre monde. Pire encore, la crainte est un instrument de gouvernance entre les mains des plus cyniques. Ainsi, Noam Chomsky a démontré combien la surévaluation du danger représenté par la Guerre froide et la guerre contre le terrorisme s’est révélé un levier essentiel pour permettre aux États-Unis de renforcer leur hégémonie. Face à cette réalité à multiples strates, il n’était pas inutile de faire le tour de la question en images. Ancien hospice dans lequel les malades mentaux étaient colloqués au XIXe siècle, le Musée Dr. Guislain s’affichait comme le juste lieu où  » montrer les nombreux visages de l’angoisse » et en démonter le modus operandi de façon diachronique. Le résultat porte le nom de Angst et vaut la peine d’y poser les yeux.

Climat pesant

L’accrochage est distribué en deux volets: un pan historique appuyé par une imagerie flamboyante et, surtout, une partie contemporaine qui sera l’objet de notre propos. Celle-ci s’ouvre sur une vaste salle à la scénographie impeccable, soit un îlot central constitué de six projections vidéo -Keren Cytter, Emmanuel Van der Auwera…- s’articulant comme des sortes de confessionnaux. On y entre pour s’imprégner des tonalités variées de l’angoisse sur fond de bouillie sonore inquiétante. Ce ne sont pas forcément les séquences les plus spectaculaires que l’on retient -ainsi de Nicolas Provost montrant comment la grammaire cinématographique peut, entre autres à travers le montage et la bande-son, dramatiser un contenu neutre. Non, c’est Masking Tape Intervention: Lebanon 1989 d’Helene Kazan qui scotche. À partir d’un cliché pris pendant la guerre civile au Liban, l’artiste a reconstitué un jeu d’ombre et de lumière s’articulant autour d’une fenêtre quadrillée de bandes autocollantes. On le sait, ce procédé sert à minimaliser la dispersion du verre en cas d’explosion. Cette reconstitution permet de comprendre comment ce dispositif préventif imprime l’imaginaire jour après jour plus sûrement que ne le ferait une déflagration proprement dite. L’oeuvre est emblématique de l’exposition qui montre combien le caractère diffus de l’angoisse -par exemple dans la série de toiles d’un Robert Devriendt, dans les photographies épurées de Marta Zgierska ou dans les dessins post-apocalyptiques de Benjamin Moravec- installe un climat pesant auquel l’humanité actuelle ne répond que par l’anticipation et le contrôle. Une réaction qui n’a d’autre effet que de grossir le phénomène. Au regard de cela, les travaux de Kendell Geers ou de Charles Fréger -dont les « hommes sauvages » ont fait le tour du monde- apparaissent comme une confrontation directe et salutaire avec la peur. Elle nous arrive en droite ligne du paléolithique…

Angst (Angoisse)

Exposition collective, Museum Dr. Guislain, à Gand. Jusqu’au 27/05.

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www.museumdrguislain.be

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