Merveilleuse déconfiture

Rabaté clôt son évocation de la débâcle de l’armée française en juin 1940. Un récit historique riche en échos, proche du chef-d’oeuvre graphique et humaniste.

Sur la couverture de la première partie, sortie l’année dernière, la route bordée de véhicules abandonnés et d’un cheval mort était empruntée par un soldat français. Cette fois, sans que les véhicules et le cheval aient bougé, le ciel bleu est devenu rouge, et c’est un soldat allemand qui remonte la route. Amédée Videgrain, soldat du 11e régiment, est désormais prisonnier des Allemands en compagnie d’une poignée d’autres troufions -ils seront bientôt des milliers- en route, lente et étrange, vers les stalags. Des troufions qui n’avaient rien demandé à personne, qui comprennent à peine ce qu’ils font là et qui vivent l’instant comme ils peuvent -on n’a plus le temps d’enterrer ses morts, on bouffe ce qu’on peut (au mieux un reste de fayots froids) et on se torche avec les romans de Victor Hugo. Et puis il y a ceux qui, comme le petit comptable qui avait 40 ans et n’avait jamais quitté son village, préfèrent se pendre – » Il n’aura pas vécu grand-chose et il est mort pour rien« – et ceux qui comme Amédée pensent quand même à s’évader. Une évasion qui n’aura rien de spectaculaire ou d’héroïque -elle sera même parfois grotesque- mais pour laquelle Amédée le stoïque aura à sacrifier bien plus qu’il ne ne le pensait: un peu des autres, et beaucoup de lui-même. Le tout en 120 pages, à peu près toutes superbes.

Merveilleuse déconfiture

Viscéralement humaniste

La première partie de La Déconfiture nous avait enchanté, la seconde éblouit. Graphiquement d’abord, Rabaté atteint des sommets: sa bichromie noire et grise déposée sur papier crème valorise réellement son trait à l’encre de Chine, aussi sobre que mature, et capable de déployer une rare force d’évocation. Cette force s’épanouit plus encore dans ses ombres et ses quelques scènes de nuit, aux hachures aussi impressionnantes que son usage du blanc. Un usage jamais futile du beau trait qui rappelle tour à tour Alexis, Franquin, Dodier ou Emmanuel Guibert, tant il est aussi au service de ses personnages et de leur histoire, que jamais il ne prend de haut. Car sur le fond ensuite, cette débâcle historique, qui traverse l’oeuvre de Rabaté depuis son premier album ( L’Exil, en 1989), constitue à nouveau le terreau d’une fable viscéralement humaniste vouée aux gens simples, cette fois plus grave et rude que dans sa première partie, plus gouailleuse. La tragédie, historique et intime, plane au-dessus des quelques scènes ou dialogues parfois cocasses, mais prend toute sa mesure, terrible et bouleversante, au terme de cette Déconfiture forte de 200 planches. Et à marquer d’une pierre blanche.

La Déconfiture, seconde partie

De Pascal Rabaté, éditions Futuropolis, 120 pages.

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