Les Saltimbanques ordinaires

Au milieu des années 90, Eily, 18 ans, débarque dans une Londres aux milles promesses pour entamer un cursus de théâtre. Jusque-là claquemurée dans une Irlande austère, la jeune fille veut s’enivrer de tout ce que la clinquante capitale peut lui offrir et s’escrime à perdre rapidement sa virginité:  » Une bouche et le reste pour passer le cap. Surtout que tu rêves de te laisser mollir comme une poupée. » L’élu s’appellera finalement Stephen, avec ses 40 ans de comédien qui charrient plus de zones d’ombre que d’éclats. Mais ce qui se scelle entre eux lors de ces quelques heures maladroites, sur fond de Nuit transfigurée de Schoenberg, outrepasse la légèreté qu’ils voudraient y voir germer. Malgré leur différence d’âge et des passés troués de violence, cette faim urgente de tendresse les cimente l’un à l’autre. Entre l’initiation de la jeune femme et le besoin de rédemption sans cesse contrarié de son amant écorché, l’Irlandaise Eimear McBride ( Une fille est une chose à demi) fait onduler son texte à même la chair, glissant sur les matins groggys scotchés entre les draps et laissant s’harasser les corps dans les blancs de la page. Expérience de lecture à l’élan qui fluctue, Les Saltimbanques ordinaires est à la colle des pensées encore indéfinies d’Eily, de ses hésitations de femme en devenir, du tourbillon émotionnel dans lequel cette relation (aussi passionnée que limite) la met. Si son héroïne cherche à tâtons et culbutes à  » rattraper l’ourlet de [sa] vie, ces fils qu'[elle] reprend mais qui [lui] échappent sans cesse« , McBride continue à tisser singulièrement la matière mouvante de la langue et des êtres en devenir.

D’Eimear McBride, traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux, éditions Buchet-Chastel, 384 pages.

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