Festival de Macao: les nouvelles relations Est-Ouest

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

La deuxième édition du festival de Macao s’est déroulée début décembre, avec le cinéma à l’heure de la globalisation en ligne de mire…

Marché en expansion constante (Santa & Cie, le dernier film d’Alain Chabat, y est sorti sur… 8.000 copies), coproductions en plein boom (de La Grande Muraille de Zhang Yimou avec Matt Damon, mégaprojet et flop retentissant, à des films plus modestes, comme The Lady in the Portrait de Charles de Meaux): la Chine est le nouvel eldorado cinématographique auquel la planète fait les yeux doux. Un contexte effervescent sur lequel entend à l’évidence capitaliser l’encore tout jeune International Film Festival & Awards Macao (IFFAM), ses organisateurs ayant l’ambition de faire de la Région administrative spéciale, située à un jet de pierre ou peu s’en faut de la Chine continentale, un lieu d’échanges résolument en phase avec l’évolution du cinéma à l’ère de la globalisation.

Marquée par la démission de son directeur artistique, Marco Müller, un mois avant l’ouverture des festivités, la première édition de la manifestation en 2016 avait laissé une impression d’ensemble quelque peu chaotique. Le premier mérite de Mike Goodridge, son successeur, aura été d’en asseoir les fondations, non sans en remodeler sensiblement la ligne éditoriale. Alignant de nombreuses productions asiatiques (de Okja de Bong Joon-ho au film macanais Love Is Cold, et jusqu’au pilote de la minisérie hongkongaise Stained parmi beaucoup d’autres), la programmation aura ainsi pris un parfum britannique plus prononcé (avec les Paddington 2, Journey’s End, My Generation ou encore Beast, révélation du festival et annoncé sur nos écrans courant 2018). Non sans veiller à séduire le (grand) public avec, à côté des premières et deuxièmes oeuvres au menu d’une compétition remportée par Hunting Season de l’Argentine Natalia Garagiola, la présentation de films au succès annoncé comme Suburbicon, The Shape of Water ou Le Sens de la fête.

Cinéma de genre et échanges culturels

Plus, toutefois, que dans ce panachage, la spécificité de Macao -outre son cadre exotique de Las Vegas d’Orient, la mer de Chine y remplaçant le désert du Nevada en arrière-plan d’un même alignement de casinos- est à chercher dans son positionnement au carrefour de diverses cultures. Interrogé par Screen International sur le potentiel futur du festival, Goodridge exprimait le souhait de le voir grandir à l’échelle régionale, tout en maintenant des connexions privilégiées avec la Chine comme avec l’Occident: « Nous pouvons être un lieu de réunion informel où l’Est et l’Ouest ont l’opportunité de vraiment célébrer le cinéma. » Une volonté reflétée tant au niveau de la programmation, avec la section Crossfire notamment, qu’à travers les rencontres professionnelles organisées dans le cadre du IFFAM Project Market.

Dévolue au cinéma de genre, la première repose sur un principe tout simple, des cinéastes asiatiques y étant conviés à présenter un film occidental de leur choix, et vice versa, manière originale de promouvoir les échanges culturels. Parmi les titres présentés dans le tout nouvel écrin de la Cinémathèque-Passion, située à deux pas des ruines de Saint-Paul qui dominent la vieille ville portugaise de Macao, 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick, sélectionné par Shekhar Kapur, Mad Detective, de Johnnie To et Wai Ka Fai, choisi par Guillermo Del Toro, ou encore The Silence of the Lambs de Jonathan Demme, proposé par Im Sang-soo. L’occasion, pour le réalisateur sud-coréen de The Housemaid, d’exprimer un point de vue original –« Pour moi, The Silence of the Lambs n’est rien d’autre que la merveilleuse histoire d’amour d’un couple bizarre »-, non sans affirmer sa foi en un cinéma sans frontières. « Je tourne des films asiatiques, coréens, mais, étudiant, j’ai surtout regardé des films américains et français. Des films comme The Godfather, The Deer Hunter ou ceux de Claude Chabrol m’ont laissé une impression indélébile. »

Think Global

Et Im, dont deux films ont été présentés en compétition à Cannes, de s’apprêter à franchir le pas d’une production internationale, suivant en cela l’exemple des Park Chan-wook ou autre Bong Joon-ho: « J’en ai fini de la Corée où je me sens ostracisé, et où j’ai fait ce que j’avais à faire. President’s Last Bang parlait des groupes de droite en Corée, et The Housemaid puis The Taste of Money des conglomérats. J’estime avoir fait le tour de la question, et je souhaite travailler en Amérique, où j’ai plusieurs projets de coproduction. Je veux pouvoir montrer mes histoires à un public global, même si j’ai conscience que comme réalisateur asiatique en Amérique, il me faudra être prudent et humble, et pas trop subversif. Tout est possible dans un marché plus vaste: de grosses productions stupides, mais aussi, et c’est là le côté positif, des films plus sérieux. Voilà pourquoi je veux y tenter ma chance… » Conséquent, le cinéaste présentait d’ailleurs au Project Market ce qui pourrait être son premier essai américain, Dead in the Lake, un film de genre que l’on attend riche en sous-texte…

À Macao, le Sud-Coréen aura eu l’occasion de croiser le réalisateur néerlandais Martin Koolhoven, auteur récemment de Brimstone, avec Guy Pearce et Dakota Fanning, et venu « pitcher » son prochain long métrage, The Emerald Butterfly, à la faveur de cette plate-forme internationale. « Nous n’en sommes qu’au stade de l’écriture, mais on sent la température. Avec Els Vandevorst, nous avons créé une société de production, N279 Entertainment, qui a été amenée à travailler avec l’Asie. Brimstone a par ailleurs été vendu en Chine, où il passe pour l’instant les étapes de la censure. Mon prochain film se déroulant en Indonésie, mon parcours a pris une coloration asiatique depuis quelques années. C’est donc fort intéressant pour nous, avec aussi un côté aventureux, parce que, à mes yeux, en tout cas, tout cela est tout frais et différent. Il est clair que quelque chose est en train de se produire. Hollywood est beaucoup plus impliqué sur le marché asiatique, avec des sociétés de production en Chine et des films taillés pour le marché local. Et l’Asie investit pour sa part aux États-Unis et en Europe. Je ne sais pas jusqu’où cela va aller, mais cela ouvre beaucoup d’opportunités. Et c’est intéressant d’un point de vue artistique également: Brimstone avait un pied en Amérique, et un autre en Hollande, puisqu’il parlait des gens qui étaient partis pour le Nouveau monde. Et nous avons également une histoire asiatique, en Indonésie essentiellement, mais aussi avec le Japon et la Chine, ce qui induit des possibilités, sans même parler des sujets contemporains. C’est un peu comme si le monde s’était élargi, quelque chose que je n’aurais jamais pu imaginer voici quelques années encore… » Avec Macao aux avant-postes…

La dame de Shanghai

Joan Chen poursuit, depuis bientôt 40 ans, une carrière exemplaire entre Orient et Occident.

Le Dernier Empereur
Le Dernier Empereur© DR

Joan Chen avait un peu plus de 25 ans lorsque le public occidental la découvrit, en 1987, dans Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, où, sous les traits de l’impératrice Wan Jung, elle contribuait à l’éveil sensuel du jeune Pu-Yi, monarque absolu bientôt rattrapé par les soubresauts de l’Histoire. Un film à l’éclat intact, comme le rappela une séance spéciale du festival de Macao. Et un rôle emblématique; à la mesure de celle qui, plus qu’une comédienne, apparaît comme une icône, ayant montré la voie à d’autres actrices asiatiques s’étant multipliées des deux côtés du Pacifique, les Michelle Yeoh, Gong Li ou autre Zhang Ziyi, pour n’en citer que quelques-unes.

Le bouquet de Cimino

Ayant grandi et étudié à Shanghai avant d’obtenir la reconnaissance du public chinois à la faveur de Little Flower, à la fin des années 70, Joan Chen décide dans la foulée de tenter l’aventure américaine. Si la télévision lui tend les bras -elle multiplie les apparitions dans Mike Hammer, Miami Vice ou MacGyver-, le cinéma se fait par contre prier. Et elle n’a rien oublié de ses auditions ratées pour Year of the Dragon de Michael Cimino. « J’étais aux États-Unis depuis un an ou deux lorsque j’ai appris qu’il y avait un premier rôle pour une actrice chinoise, celui d’une présentatrice de télévision. Je tenais à tenter ma chance, même si, à l’époque, je parlais avec un accent, peu compatible avec sa profession. J’ai donc engagé un coach, et j’ai tout fait pour obtenir le rôle, jusqu’à un ultime screen-test avec Mickey Rourke. Je n’ai pas été retenue -rétrospectivement, il est clair que je n’étais pas faite pour cet emploi- et Michael Cimino m’a envoyé un énorme bouquet de fleurs, avec un mot me disant que s’il n’avait pas pu faire appel à moi, il m’avait par contre énormément appréciée. J’en ai eu le coeur brisé, d’autant plus que j’avais consacré à mes répétitions avec ce coach tout l’argent gagné en travaillant pour cinq dollars de l’heure dans un restaurant. En pure perte… »

Voire: si le rôle tant convoité de Tracy Tzu ira finalement à Ariane, comédienne à l’éphémère carrière, Joanna Merlin la directrice de casting, n’oubliera pas l’impression que lui avait laissée Joan Chen au moment d’arrêter la distribution du Dernier Empereur. Avec les conséquences que l’on sait. Et à 30 ans de distance, c’est toujours avec une même passion que la comédienne évoque son expérience dans la Cité interdite: « John Lone, Vivian Wu et moi, nous étions comme de jeunes enfants dans une confiserie, tant nous étions excités de prendre part à ce projet. J’ai participé à cinq des sept mois de tournage, et c’était comme un long apprentissage: Bernardo, Vittorio Storaro, le directeur de la photographie, James Acheson, le responsable des costumes, étaient juste merveilleux à observer. J’étais une jeune femme de nature plutôt distraite, et jusque-là, je n’avais jamais vraiment fait attention à ce qui se passait sur les plateaux de tournage. Mais ce film a capté mon attention plus que tout autre. Voir tout ce monde travailler a constitué une expérience unique. »

Twin Peaks
Twin Peaks© DR

À la croisée des cultures

Si The Last Emperor lui apporte une première consécration internationale, Joan Chen se verra par la suite trop souvent cantonnée à des rôles stéréotypés: « Après ce film, je n’ai guère eu de propositions intéressantes, je n’étais qu’une fille chinoise, une fleur exotique, d’où le type d’emplois dans lesquels on a pu me voir. » On la retrouvera par exemple dans les dispensables On Deadly Ground de Steven Seagal, Judge Dredd de Danny Cannon ou encore aux côtés de Christophe Lambert dans The Hunted. Pas une fatalité, cependant, et David Lynch lui confiera le rôle de Jocelyn Packard dans la série Twin Peaks, Oliver Stone faisant pour sa part appel à ses talents pour Heaven & Earth. Sans même compter ses fréquents allers et retours vers l’Orient qui la conduiront devant la caméra de Stanley Kwan (Red Rose, White Rose), Ang Lee (Lust, Caution) ou Jia Zhang Ke (24 City), parmi d’autres. Entre-temps, la comédienne s’est aussi risquée à la mise en scène, tournant son premier long métrage en Chine, en 1998, Xiu Xiu, The Sent Down Girl -« Je me suis lancée avec l’innocence des débutants, sans peur et sans réfléchir »-, avant de renouveler l’expérience deux ans plus tard aux États-Unis pour Autumn in New York, réunissant Richard Gere et Winona Ryder. Pour l’heure, elle met la dernière main à une adaptation de English, roman de Wang Gang ayant rencontré un important succès en Chine. Il y est question, au lendemain de la visite de Richard Nixon dans l’empire du Milieu, en 1972, d’un professeur de Shanghai se rendant dans la région de Xinjiang pour y enseigner l’anglais. Et qui, avec la langue, va introduire une sensibilité et une mentalité différentes, ayant le don d’ouvrir les yeux des enfants. À la croisée des cultures, donc, la place lui seyant définitivement le mieux…

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