François Ozon: « J’aime bien malmener le spectateur »

Jérémie Renier et Marine Vacth dans L'Amant double de François Ozon. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec L’Amant double, libre adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates, François Ozon signe un thriller érotico-psychanalytique fascinant, mettant en scène fantasmes et névroses avec audace et élégance. Du grand art…

À l’instar d’un Woody Allen, François Ozon aligne les longs métrages avec la régularité d’un métronome, maintenant un rythme annuel, ou presque, depuis Sitcom, le film qui le révélait en 1998. Découvert en compétition à Cannes il y a quelques jours, L’Amant double, son nouvel opus, témoigne ainsi d’une inspiration sans cesse renouvelée. Quelques mois après s’être essayé au drame historique dans Frantz, le réalisateur français y adapte Joyce Carol Oates (Lives of the Twins, publié en 1987 sous le pseudonyme de Rosamond Smith) pour signer un thriller érotico-psychanalytique de sulfureuse facture, venu aussi rappeler au passage son art du faux-semblant. Les amateurs de Dead Ringers de David Cronenberg ne devraient d’ailleurs pas être dépaysés outre mesure par cette histoire voyant une jeune femme souffrant d’un mal étrange, Chloé, tomber amoureuse du psy qu’elle va consulter, Paul. Pour découvrir bientôt que ce dernier a un frère jumeau, Louis, psy également, en prélude à une plongée au coeur du désir et de l’inconscient…

David Cronenberg (dont on pourrait encore mentionner A Dangerous Method) constitue la référence cinématographique évidente mais pas exclusive d’un film dont l’auteur aime, à l’évidence, multiplier les citations, qui incluent encore Brian De Palma ou Roman Polanski.

Filmer le réel comme les rêves

François Ozon:

Un postulat affirmé d’entrée par un raccord audacieux qui n’est pas sans évoquer Un chien andalou, de Luis Buñuel. « C’est un film que j’ai adoré enfant, opine Ozon, manifestement ravi de la comparaison. Je l’ai vu à de nombreuses reprises avec mon frère. Nous nous étions rendus avec nos parents à la grande exposition sur le surréalisme organisée à Beaubourg, et le film y était projeté en boucle. Nous l’avons regardé dix fois, étant littéralement obsédés par l’image de cet oeil et du rasoir. Aujourd’hui, je ne suis plus capable de regarder un tel plan, cela me choque, mais à l’époque, j’aimais beaucoup. » Et de poursuivre: « Buñuel est un de mes réalisateurs préférés. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il disait qu’il faut filmer le réel comme des rêves et les rêves comme la réalité. J’essaye de le faire: dans ce film, j’abolis les frontières et j’interroge beaucoup le statut des images, leur vérité, avec tout un travail autour des séquences et des plans, et un jeu avec le spectateur. C’est quelque chose que l’on retrouve chez Buñuel, surtout dans ses derniers films tournés en France, où il y avait un côté assez ludique dans sa mise en scène… » Jeune et jolie, le film où François Ozon révélait Marine Vacth, la troublante héroïne de L’Amant double, n’était d’ailleurs pas sans résonner pour sa part avec Belle de jour.

Ce jeu de références, le cinéaste l’assume complètement, lui qui précise: « Je suis aussi un cinéphile, et il m’est impossible de faire table rase. Quand on rentre dans un genre comme le thriller, on passe après beaucoup d’autres réalisateurs, et il y a forcément des choses qui ont pu m’influencer, plus ou moins consciemment. » Pour autant, Ozon a toujours eu le chic pour remodeler ces « emprunts » à sa façon, et ce nouveau film ne déroge pas à la règle. Non content de s’écarter sensiblement du roman dont il est adapté -il l’a notamment enrichi d’un dénouement introduisant la notion de jumeau parasite, et y greffe par ailleurs le souvenir diffus des Météores de Michel Tournier, autre ouvrage ayant trait à la gémellité-, le cinéaste s’y empare du cinéma de genre(s) avec gourmandise, comme pour le réinventer. « Je recours au genre qui s’adapte le mieux à l’histoire que je veux raconter. Dans L’Amant double, plusieurs genres sont mélangés: j’aime bien aller dans de multiples directions, et malmener un peu le spectateur. J’ai tout particulièrement apprécié dans ce film jouer avec les codes et m’amuser formellement avec différents éléments de mise en scène. L’histoire le permettait, ce qui rendait le projet excitant, surtout après un film comme Frantz qui était plus classique et très chaste. J’essaie à chaque film d’expérimenter quelque chose de nouveau, et de trouver de nouveaux défis. »

Doubles et double vie

Un souci qui n’empêche pas l’oeuvre d’affirmer, film après film, certaines lignes de force. Au même titre que les faux-semblants, la figure du double, et avec elle l’aspiration à une double vie, en est une, constituant un puissant moteur de fiction. « Le double m’a toujours passionné, parce que je pense que nous sommes tous extrêmement complexes, observe le cinéaste. Moi-même, je pense être double et je crois que nous avons tous besoin d’une part de vie secrète, de double vie, plus ou moins réelle ou fantasmée. C’est une nécessité pour survivre dans le monde d’aujourd’hui, parce que la vie est dure. » Les films de François Ozon racontent d’ailleurs souvent le besoin d’imaginaire pour supporter le réel, L’Amant double comme d’autres avant lui. Et le réalisateur avance l’hypothèse que Louis, le frère jumeau de Paul, puisse être perçu comme un avatar permettant à Chloé d’assouvir une sexualité plus violente et plus épanouie.

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Face à une Marine Vacth libérant son inconscient dans un mélange de beauté trouble et de mystère, le réalisateur a fait appel à Jérémie Renier pour jouer ce double rôle tout en contrastes. Des retrouvailles, là encore, puisque l’acteur belge avait déjà tâté de son univers dans Les Amants criminels et dans Potiche. « Jérémie n’était pas mon premier choix, confesse le metteur en scène. Je le connais depuis longtemps puisque nous avions travaillé une première fois ensemble, il y a une vingtaine d’années, alors qu’il n’avait que 17 ans. Et j’avais gardé de lui l’image d’un adolescent. Après avoir choisi Marine, j’ai fait de nombreux essais avec divers acteurs français et je lui ai demandé d’en passer un, lui aussi, tout en étant convaincu qu’il n’était pas ce personnage. J’ai été surpris en constatant combien il était mûr, viril. Bien qu’il vienne d’un cinéma très réaliste, des frères Dardenne, Jérémie est un acteur de composition, très différent des acteurs français. C’est normal, il est belge, mais pour moi, il travaille plus dans l’esprit des acteurs américains. C’est un acteur très physique. » Et d’évoquer encore, comparaison flatteuse s’il en fut, Michael Fassbender, le comédien britannique avec qui il avait travaillé sur Angel.

Parfois un peu « léger » en d’autres circonstances, Jérémie Renier ne manque pas, pour le coup, d’impressionner, et sa double prestation -toutes les scènes avec Paul ont été tournées avant celles avec Louis, afin de lui permettre de se mettre successivement dans la peau de chacun des personnages- n’est certes pas étrangère à la réussite du film, déclinant en variations-miroirs la relation de ces amants troubles… Touche-à-tout brillant, François Ozon y confirme pour sa part n’être sans doute jamais autant à l’aise que lorsqu’il s’agit de s’aventurer en zones sensibles –« Je ne me suis pas censuré », énonce-t-il comme une évidence. Pour notre plus grand plaisir de spectateur, tant ce thriller psychologique, s’il est assurément perturbant, se révèle encore plus délectable…

François Ozon, cinéaste sous influences

Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000)

Révélé quelques années plus tôt par Sitcom puis Les Amants criminels (où il citait notamment La Nuit du chasseur, de Charles Laughton), François Ozon adapte, pour son troisième long métrage, une pièce de Rainer Werner Fassbinder, l’histoire d’un homme en séduisant un autre, de 30 ans son cadet. Et une manière, pour le cinéaste français, de rendre hommage au réalisateur de Querelle, « un auteur ayant su parler de son pays comme aucun autre metteur en scène n’a réussi à le faire du sien. »

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8 femmes (2002)

Avec 8 femmes, pétillante comédie policière s’appuyant sur une distribution de rêve -Danielle Darrieux, Catherine Deneuve, Virginie Ledoyen, Isabelle Huppert, … -, c’est l’âge d’or du cinéma hollywoodien que célèbre François Ozon, de George Cukor à Douglas Sirk en passant par Vincente Minnelli ou Alfred Hitchcock. Une volonté que traduisent limpidement les décors et les costumes, inspirés notamment de The Barefoot Contessa, de Mankiewicz, ou de Magnificent Obsession, de Sirk.

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Une nouvelle amie (2014)

S’il est adapté d’une nouvelle de Ruth Rendell (Une amie qui vous veut du bien), ce film, où il est question de faire revivre une morte, évoque autant le Laura d’Otto Preminger, que le Vertigo d’Alfred Hitchcock. Influences revendiquées par un Ozon voyant dans le cinéma hollywoodien classique mieux qu’une inspiration, son ADN: « Ils voulaient faire des films commerciaux, mais avec des thématiques très personnelles et fouillées, et donc des films exigeants, en fait. C’est mon idéal en tant que cinéaste… »

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Frantz (2016)

Avec Frantz, film en noir et blanc et en allemand situé au lendemain de la guerre 14-18, François Ozon s’attaque à l’exercice du remake, et pas n’importe lequel encore bien, puisqu’il s’inspire de Broken Lullaby (L’homme que j’ai tué), d’Ernst Lubitsch. La réussite exemplaire de l’entreprise tient sans doute, pour le coup, à la distance qu’il prend avec son modèle, en modifiant le point de vue -pour en adopter, comme souvent dans son cinéma, un féminin-, et rajoutant une seconde partie à l’histoire originale…

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