« Le fait de se trouver au pouvoir ne fait-il pas ressortir le pire de chacun? »

Ricardo Darín, impérial en homme ordinaire confronté à l'exercice du pouvoir. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Santiago Mitre s’immisce dans les rouages de la politique sur les pas d’un président fraîchement élu -Ricardo Darín- dont les principes sont mis à l’épreuve du pouvoir…

Il n’y avait sans doute que Ricardo Darín, impérial de El Secreto de sus ojos à Relatos salvajes, pour camper avec le mélange d’autorité, de charisme et d’ambiguïté requis Hernan Blanco, le président argentin aux prises avec un double dilemme, moral et politique, au coeur de El Presidente, le troisième long métrage de Santiago Mitre. Le réalisateur confie d’ailleurs qu’il n’aurait pas pu tourner ce film sans le concours de l’icône argentine, un acteur qu’il connaissait bien pour l’avoir déjà côtoyé sur Carancho et Elefante blanco, de Pablo Trapero, dont il avait écrit le scénario.

La complicité entre les deux hommes est du reste palpable lorsqu’on les rencontre à Cannes, où El Presidente (alors baptisé La Cordillera) a été présenté à Un Certain Regard, Darín soulignant d’entrée combien ils ont travaillé « la main dans la main »: « Nous avons collaboré étroitement. Santiago a eu la générosité de me laisser entrer dans ce personnage et d’en discuter avec lui, comme de l’histoire. Nous avons confronté nos points de vue et c’était important pour nourrir le récit. Il fallait que nous nous entendions sur ce qu’allait être l’arc narratif du personnage. » Soit un homme politique ayant fait campagne sur sa dimension ordinaire, mais devant faire face à une crise personnelle alors même qu’il fait ses débuts dans l’arène internationale à l’occasion d’un sommet piégeux, sans doute déterminant pour l’avenir énergétique de l’Amérique latine. Circonstances propices à lézarder quelque peu sa normalité de façade.

S’il est tentant de voir en Hernan Blanco un pendant sud-américain à François Hollande par exemple, Santiago Mitre insiste sur le caractère totalement fictif de l’histoire: « Il s’agit d’une pure fiction, même s’il y a des éléments que l’on peut relier à des faits réels et des problèmes rencontrés dans nos sociétés. C’est un président d’aujourd’hui, confronté aux problèmes du moment, et l’on peut donc trouver des similitudes ou des points communs avec des politiciens existant, mais l’histoire est entièrement fictive. » À quoi Ricardo Darín renchérit: « Je ne me suis inspiré d’aucun politicien en activité et nous avons même veillé à ce que Hernan Blanco ne ressemble à aucun président argentin récent: nous voulions qu’il dispose d’un maximum de liberté, également en ce qui concerne les idéologies. S’il peut apparaître plutôt progressiste au départ, il évolue en cours de route, et devient différent et plus conservateur, en conséquence notamment de la pression subie lors de ce sommet. »

La nature même du pouvoir

El Presidente s’inscrit dans une tradition cinématographique déjà longue. Si l’on songe, par exemple, à Sept jours en mai de John Frankenheimer, ou autre Les Hommes du président d’Alan J. Pakula, Santiago Mitre cite pour sa part Tempête à Washington, d’Otto Preminger, mais aussi le cinéma de Stanley Kubrick et Roman Polanski, histoire de dévier du cours habituel des thrillers politiques. À quoi s’est greffée la tradition littéraire argentine, celle des Julio Cortázar et Adolfo Bioy Casares, venue donner au récit une coloration fantastique. « Il s’agissait à mes yeux de le rendre plus tendu et énigmatique. La relation des Argentins à la politique est également entrée en ligne de compte: nous avons tendance à la considérer, par moments, comme plutôt décourageante, voire effrayante… » Non content d’en démonter les rouages, le film n’est d’ailleurs pas, et c’est aussi sa force, sans questionner la nature même du pouvoir. « Ce débat renvoie à une question que je me posais souvent plus jeune, observe Ricardo Darín. J’entendais les gens autour de moi dire que si du sang neuf arrivait au pouvoir, les choses allaient changer. Et je me demandais si l’exercice du pouvoir avait le don de faire vieillir prématurément ce sang neuf, parce que les choses n’évoluaient pas suffisamment à mon goût. Je ne sais pas si le fait de se trouver au pouvoir fait ressortir le pire de chacun, mais c’est une question que l’on peut se poser au sujet de n’importe qui. Un proverbe chinois dit ainsi que pour vraiment connaître quelqu’un, il faut lui donner cinq minutes de pouvoir. Que se passe-t-il quand quelqu’un arrive au pouvoir? Le pouvoir change-t-il l’homme? Vastes questions… » L’ambiguïté présidant à El Presidente, film hybride mais fascinant, n’est assurément pas la moindre de ses qualités…

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