Le festival des grands écarts

La 45e édition du plus grand événement BD du monde s’annonce plus schizo que jamais. Un mélange d’alternatif et de grand public, d’éditeurs enthousiastes et d’auteurs pauvres, dans un climat globalement lourd.

Angoulême, petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahissement des autres médias, s’apprête à accueillir comme chaque année le grand banquet de la bande dessinée, et à en devenir pour quatre jours le centre du monde. Le grand raout, dont presque tous les acteurs -auteurs, éditeurs, amateurs, professionnels- reviennent déprimés (trop de fêtes, de rendez-vous, de manque de sommeil, d’auteurs et d’éditeurs qui tentent comme eux de se faire une place), et auquel presque tous les absents, pourtant, regretteront de ne pas avoir participé. Une sorte de Paris-Dakar de la bande dessinée réuni derrière les remparts d’Angoulême, pour une 45e édition placée sous le double signe du grand écart et de la mutation.

Le festival des grands écarts

Grand écart d’abord dans le spectre des exposants et des expositions proposées. Condamné par sa taille à se faire le plus exhaustif possible, le festival d’Angoulême voit se côtoyer -parfois, sans jamais se croiser!- les productions parfois très grand public et les structures indépendantes et parfois très alternatives, de la bulle principale qui accueille les gros éditeurs, leurs stars et leur horde de chasseurs de dédicaces, aux festivals « off » et même « off of off », disséminés dans la ville. Un mix de courant alternatif et continu, pas toujours lisible, qui se retrouve également dans les expositions proposées cette année: outre la grande rétrospective consacrée à Cosey, puisque élu Grand Prix par ses pairs au festival de l’année dernière, on pourra y voir des originaux et des planches tant de Jacques Martin, le père d’ Alix et figure de la BD franco-belge la plus traditionnelle et historique, que de Gilles Rochier, figure de la BD indé contemporaine et voix des banlieues avec entre autres le récent et succulent La Petite Couronne! On salive par ailleurs et d’avance sur l’expo consacrée à Emmanuel Guibert (un grand écart à lui tout seul, d’ Ariol à La Guerre d’Alan) ou la première grande rétrospective en Europe consacrée à Osamu Tezuka, le « Dieu du manga » auteur entre autres du mythique Astroboy. Une BD asiatique qui sera à nouveau présente en force, via deux autres expositions et de nombreux exposants. Seule absente apparente de ce grand rendez-vous, ou en tout cas bien plus discrète que les années précédentes: la BD numérique, qui peine décidément à sortir du bois.

Le festival des grands écarts

Un des derniers du genre?

Mutation ensuite, et là aussi, quasiment à tous les étages du festival et du secteur. Si on ne sait pas encore pour l’heure ce que donnera le mouvement de grève lancé mais a priori peu suivi par les auteurs français (lassés de leurs conditions de travail, de l’impossibilité grandissante de vivre de leur art et de venir bosser gratuitement quatre jours durant), on sait par contre déjà que le mal-être économique des auteurs sera au centre des conversations, tout autant que la santé apparemment florissante des (gros) éditeurs, concentrés eux sur une nouvelle vague de fusions-acquisitions, du mariage de Médias Participations avec La Martinière, et sur les partenariats qui se multiplient, par exemple entre éditeurs francophones et américains, signe d’une « marvelisation » grandissante du secteur, au sein desquels les personnages, propriétés des éditeurs, prennent plus d’importance que leurs auteurs. Quant au festival, ses gestionnaires savent mieux que personne qu’il est lui-même à la croisée des chemins: avec une baisse globale de 15 % des recettes depuis 2014, le retrait de nombreuses subventions et une bisbrouille généralisée entre organisateurs, sponsors privés et secteur public, Angoulême va devoir se réinventer un avenir au risque de disparaître ou, à tout le moins, de perdre son leadership; le projet d’un grand parc d’attractions BD qui s’installerait, cette fois, au pied des remparts, en fera sans doute partie.

Le festival des grands écarts
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