Le ciel peut attendre

Le Belge Patrick Delperdange a changé de maison d’édition, pas de fond ni de forme: ses polars secs et ruraux donnent une voix grave aux déclassés.

Lila, la prostituée entre deux âges assise sur une chaise en plastique, la nuit, le long d’une route isolée, et dont l’agression ouvre brutalement L’éternité n’est pas pour nous, Patrick Delperdange l’a vue.  » Elle existe. J’ai enregistré cette image, elle est restée en moi, plus qu’une autre, allez comprendre, nous a expliqué le Bruxellois à la terrasse d’un café. Sans faire de démonstration, mon envie est toujours de raconter une histoire dans un cadre qui peut éclairer sur la dureté de la société. Je ne suis pas un écrivain politique. Mais je vis dans ce monde, dans une ville où des personnes meurent dans la rue, dans un pays où il m’arrive de voir des vieilles dames fouiller les poubelles. Il n’y a pas de paradis, ni d’enfer. Il n’y a qu’ici, et j’ai envie de le raconter. »

L’envie de raconter, Patrick Delperdange la concrétise depuis plus de 30 ans et déjà une cinquantaine de livres entre polars, romans jeunesse et bandes dessinées. Une longue carrière marquée par un Prix Rossel en 2005 ( Chants des gorges) et un passage par la mythique Série Noire il y a deux ans avec Si tous les dieux nous abandonnent, polar tout aussi rural et brutal que celui-ci, qui en est d’ailleurs une suite presque directe:  » Des personnages principaux du premier deviennent des personnages secondaires ici. La région et le pays, qui n’existent que dans mon imagination, sont les mêmes. Et je pense y revenir; j’ai encore des choses à dire au sujet de ces gens. Mais je ne nomme pas les lieux pour ne pas repousser les lecteurs québécois, français, suisses. Que tous puissent se dire: « Ça se passe chez nous . » Pour qu’ils amènent leur bagage dans la lecture. Et qu’ils comblent avec leur propre ressenti les informations parcellaires. »

Le ciel peut attendre

De la Meuse au Mississippi

Lila, Sam ou Danny, anti-héros de cette Éternité qui leur échappe, n’auront donc pas de noms de famille, ne se lamenteront que très peu sur leur traumatisme et ne donneront guère d’explication, toujours foireuse, à leur sort. Ils errent dans des campagnes qui pourraient être les nôtres (le narrateur cite la Meuse), croisent d’autres laissés-pour-compte, d’autres caravanes et d’autres âmes damnées, gagnant à chaque épreuve, parfois terrible, un peu d’humanité. Un polar rural et social comme la Série Noire en a produit beaucoup dans les années 70 (et même si Delperdange préfère se référer au Southern Gothic américain et à Larry Brown en particulier, grand écrivain du Mississippi) et qui mériterait évidemment d’encore y figurer, si l’écrivain belge n’était pas, aussi, un homme fidèle: il a suivi son éditeur Aurélien Masson aux Arènes, pour lancer une nouvelle collection noire, Equinox. Longue vie à elle.

L’éternité n’est pas pour nous

de Patrick Delperdange, Éditions Les Arènes, 272 pages.

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