La guerre des sexes

Naomi Alderman fomente une dystopie glaçante où les femmes font changer la peur de camp grâce à une mutation corporelle génératrice d’arcs électriques.

En Angleterre, une jeune femme de quatorze ans assiste au meurtre de sa mère et riposte comme elle peut en projetant une décharge sur l’un de leurs assaillants. Roxy est la pionnière d’un phénomène électrique mondial. Au Nigeria, Tunde est amoureux mais sa prétendante se joue de lui en le piquant d’un arc douloureux. Honteux et sans preuve de ce qui est survenu, il filme alors un dialogue dans une ruelle: une femme riposte violemment au badinage de son interlocuteur en le terrassant d’un éclair. La scène, aussitôt postée, devient virale. L’opinion publique s’emballe, criant au retour des sorcières. Aux États-Unis, une dirigeante locale, Margot, s’intéresse de près à ce qui apparaît comme une mutation organique: l’apparition d’un fuseau sous la clavicule des adolescentes (à plus forte raison parce que sa fille Jocelyn est touchée mais marginalisée par son manque de maîtrise de sa nouvelle arme). Violentée par sa famille d’accueil ultrareligieuse, Allie tue son père adoptif venu lui faire subir un châtiment sexuel. Plus consciente que d’autres de son pouvoir, et guidée par une voix supérieure énigmatique, elle se réfugie dans un couvent qui accueille d’autres femmes touchées par la métamorphose. Chacun de ces personnages a un rôle-clé à jouer dans la révolution qui bientôt gronde, de Moldavie à Delhi. Allie se fait la prêtresse rassembleuse d’une religion où Dieu est Elle. Tunde enquête sur le terrain, pris entre l’excitation d’un sujet brûlant et la peur de ces guerrières. Roxie, longtemps vilain petit canard, voit l’occasion de prendre la tête de sa famille puissante dans la pègre. Margot est persuadée qu’en tirant les bonnes ficelles, elle a trouvé sa voie royale pour monter dans les sphères du pouvoir.

La guerre des sexes

Spirale féroce

Certaines oeuvres atteignent leur cible à un instant T. Ce fut le cas pour l’adaptation en série de La Servante Écarlate de Margaret Atwood, conduisant des jeunes femmes costumées de rouge devant le Sénat pour protester contre la réforme de la santé promulguée par Donald Trump. Le Pouvoir nous parvient en traduction au moment où s’intensifient prises de parole et de position des femmes contre les violences qui leur sont faites de façon endémique. Le roman agit bien ici en tant que dystopie, un genre supposé nous projeter dans un futur plausible mais déformé à l’excès et à dessein. Naomi Alderman ( La Désobéissance, Mauvais genre, aux éditions de l’Olivier) nous conduit tambour battant dans la spirale d’une loi du talion que même certaines de ses héroïnes instigatrices n’imaginaient pas si féroce. À travers ce prisme bien construit et un style efficace, l’auteure britannique nous amène à réfléchir aux dérives personnelles, politiques, militaires, religieuses et même commerciales que pourrait avoir un ordre nouveau qui assujettirait l’autre moitié de l’humanité. Un monde où les femmes se montreraient plus intraitables encore que les hommes et où tout dialogue serait castré serait-il un monde meilleur?

Le Pouvoir

De Naomi Alderman, éditions Calman-Lévy, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Christine Barbaste, 400 pages.

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