Rosamund Pike, la glace et le feu

Rosamund Pike est Ruth Williams Khama dans A United Kingdom. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Ex-James Bond girl vue aux côtés de Tom Cruise dans Jack Reacher et chez Amos Gitaï ou David Fincher, la très hitchcockienne Rosamund Pike combat l’intolérance et les préjugés raciaux dans A United Kingdom.

Voix feutrée mais débit véloce, froideur quasi aristocratique de façade mais émotions à fleur de peau (elle fond littéralement en larmes quand on lui demande d’évoquer l’histoire d’amour qui est le coeur battant de A United Kingdom): Rosamund Pike est cette comédienne de tous les contrastes capable aussi bien d’embraser la pellicule de son sex-appeal vorace en agent double infiltrée chez James Bond (elle est Miranda… Frost dans le Die Another Day de Lee Tamahori en 2002) que de glacer les sangs en épouse calculatrice et démoniaque devant la caméra de David Fincher (elle mange Ben Affleck tout cru dans Gone Girl en 2014).

Entre blondeur et noirceur, l’actrice british jusqu’au bout des ongles, fille d’un couple de chanteurs d’opéra ayant grandi à Bristol, est au fond l’archétype de la bourgeoise sophistiquée au teint de porcelaine chère à Hitchcock, volcan sous la neige dont l’élégance naturelle décuple le pouvoir d’attraction. Voire le pouvoir tout court, d’ailleurs. Pas pour rien qu’elle a été choisie dès 2003 par le dramaturge anglais Terry Johnson afin d’incarner au théâtre, son domaine de prédilection originel, l’héroïne de Hitchcock Blonde, qui la voit apparaître chaque soir complètement nue -mais en talons hauts- sur les planches, détaillant dans un troisième acte paroxystique les caractéristiques de l’orgasme au féminin.

Déjà croisé sur le plateau de Jack Reacher en 2012, David Oyelowo, son partenaire aujourd’hui dans A United Kingdom, qu’il produit par ailleurs, dit d’elle qu’à la différence de la majorité des actrices dans le circuit actuel, « il est impossible de prévoir à quoi une prestation de Rosamund va ressembler. Elle est différente dans chaque film où elle joue. Il y a une complexité chez elle, une profondeur, et même un mystère, qui confèrent un relief peu commun à chacun de ses rôles. » C’est aussi vrai sur le format court. La preuve par exemple avec les cinq minutes de clip anxiogène du récent Voodoo in My Blood de Massive Attack où elle vampirise l’image en effrayant pantin à la chorégraphie zombiesque hypnotisé par un robot volant. Actrice caméléon? Comédienne alien? Il y a en tout cas quelque chose de définitivement vaudou qui coule dans le sang de Rosamund Pike.

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Ebony and ivory

C’est donc à la love story qui noyaute A United Kingdom (lire la critique) qu’elle prête ces jours-ci sa blancheur marmoréenne, dans un registre pour le coup empreint de classicisme rétro. Soit l’histoire vraie de Ruth Williams, jeune employée de bureau londonienne, et Seretse Khama, l’héritier du trône du Bechuanaland (le futur Botswana), deux êtres que rien ne destinait à se rencontrer et qui pourtant vont bientôt batailler côte à côte, entre l’Albion et l’Afrique de l’immédiat après-guerre, afin d’imposer leur amour flamboyant contre vents et marées politiques. « À l’origine, Seretse a été envoyé en Angleterre parce qu’il était raciste, explique Rosamund Pike alors qu’on la retrouve dans la quiétude d’un hôtel de Soho en marge du dernier Festival du Film de Londres. Ayant été scolarisé en Afrique du Sud, il avait en effet développé une aversion profonde à l’encontre des Blancs. Son oncle lui a alors dit: « Nous sommes un protectorat, il y a beaucoup de Blancs sur nos terres, tu dois aller en Angleterre et apprendre à dépasser cette répugnance. » Il ne s’attendait évidemment pas à ce qu’il la dépasse à ce point (sourire). »

« Je désirais depuis un moment jouer une pure histoire d’amour. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle prenne cette forme. C’est aussi ce qui a rendu le projet très excitant pour moi. J’ai trouvé ça particulièrement interpellant de réaliser que nous étions occupés à monter l’un des rares longs métrages anglo-saxons de cette ampleur centrés sur une histoire d’amour entre un homme noir et une femme blanche depuis Guess Who’s Coming to Dinner(1). Qui date tout de même d’un demi-siècle! » L’ironie voulant que le Loving de Jeff Nichols, grand oublié des distributeurs belges qui raconte l’histoire -vraie, là aussi- d’un homme blanc et d’une femme noire forcés de quitter l’État de Virginie dans l’Amérique de la fin des années 50 afin de contourner une loi interdisant les mariages interraciaux, ait succédé de très peu à A United Kingdom sur les écrans anglo-saxons.

Rosamund Pike et David Oyelowo
Rosamund Pike et David Oyelowo© DR

« Très populaires en leur temps, les figures de Ruth et Seretse sont peu connues ou relayées aujourd’hui, poursuit l’actrice. Ce qui peut se comprendre, dans la mesure où le gouvernement britannique ne s’est pas comporté de manière très noble dans cette affaire. Ils ont mis leurs relations avec l’Afrique du Sud au-dessus d’intérêts humains qui, ironiquement, ont fini par changer la donne politique. Nelson Mandela a en effet toujours soutenu que l’amour unissant Seretse Khama à Ruth Williams et leur détermination pour le préserver ont été une énorme source d’inspiration dans son propre combat. »

Afin de se familiariser avec les enjeux soulevés par le film, Pike s’est penchée sur une série de documents d’époque. Elle s’est notamment rendue à la British Library, où il est possible de consulter tous les titres de presse ayant eu l’heur d’être publiés en Grande-Bretagne. Khama et Williams y faisaient les gros titres en 1947, dans une logique assez proche de celle avec laquelle le Daily Mail pourrait s’emparer de leur histoire aujourd’hui. Soit un étrange entre-deux où la célébration de leur union se voit aussitôt doublée de sa virulente critique. Mais davantage que ces archives, ce sont peut-être les photos du couple envoyées en amont par David Oyelowo en sus du scénario qui ont inspiré la comédienne. « Il s’agissait de clichés pris par le Life magazine à Serowe, la capitale de la région centrale du Bechuanaland où ils vivaient. Il y avait cette photo de Ruth et Seretse assis sur un rocher, et j’ai commencé immédiatement à pleurer. C’était très étrange. Comme si j’avais perçu la force de leur amour, et le prix qu’ils avaient dû payer pour le défendre, rien qu’en regardant leurs visages. J’ai ressenti une connexion profonde avec leur histoire sans rien connaître d’eux. Et je la ressens toujours. D’une manière plus générale, je dois dire que j’ai beaucoup appris au contact de David. Sa seule couleur de peau l’a longtemps cantonné aux rôles de seconds couteaux dans le milieu du cinéma. Il se trouve qu’il est marié à une femme blanche. Au début de leur union, il a été victime d’une agression raciste dans le métro londonien juste sous les yeux de Jessica, son épouse, un modèle de délicatesse. Il m’a raconté qu’elle est entrée à cet instant dans une rage dont il ne la pensait absolument pas capable. C’est quelque chose que j’avais à l’esprit quand il s’est agi de jouer cette scène où l’on s’en prend à Seretse dans la rue en Angleterre. Mais les résonances actuelles du film sont multiples, et invitent notamment à inverser sa propre perspective sur une série de réalités. Rien n’est par exemple plus facile quand il s’agit de parcourir le monde aujourd’hui que d’être une femme blanche détentrice d’un passeport britannique -comme je le suis. Le rejet dont Ruth a fait l’objet à son arrivée en Afrique est quelque chose qui m’est tout à fait inconnu. C’est une réalité que je n’avais jamais vue à l’écran: une femme blanche décidée à intégrer un monde noir, qui lui est totalement étranger. Ruth a choisi Seretse et elle s’est tenue à cette décision, quitte à voir sa propre famille se détourner d’elle. Beaucoup de gens, même très amoureux, auraient baissé les bras. Pas elle. Elle a laissé sa vie, son pays, derrière elle, et a décrété que cet ailleurs deviendrait sa patrie, sa maison. Cette détermination est vraiment très inspirante. »

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État d’esprit

« Après le succès de Gone Girl, et la mise en lumière que ça a représenté pour moi, j’ai eu envie de prendre un peu de recul. À vrai dire, le tournage avait été si intense, et le propos du film était tellement sinistre, que j’ai ressenti le besoin de tendre vers quelque chose de positif dans ce monde. J’ai en fait immédiatement décidé de faire un bébé (sourire). Nous avons donc eu un deuxième enfant avec mon compagnon. Plus tard, quand je me suis remise à travailler, les projets intéressants se sont naturellement présentés à moi. »

À 38 ans (depuis janvier), l’actrice affiche en effet un agenda particulièrement chargé, puisque dans la foulée de A United Kindom on la verra en épouse du haut responsable nazi assassiné Reinhard Heydrich dans HHhH de Cédric Jimenez, l’adaptation du Goncourt du Premier Roman de Laurent Binet. Puis dans le thriller politique High Wire Act de Brad Anderson aux côtés de Jon Hamm (Mad Men). Ou encore au casting de Hostiles, le très attendu nouveau film de Scott Cooper (Crazy Heart, Black Mass), western humaniste où elle donnera la réplique à Christian Bale. « Jouer me donne le sentiment de mieux comprendre et appréhender la nature humaine. Sur le tournage de Hostiles, j’ai par exemple été amenée à côtoyer beaucoup d’Amérindiens, et à débattre avec eux sur des questions de spiritualité. Un jour, l’un d’entre eux m’a dit: « Nous ne sommes pas des êtres humains en train de vivre une expérience spirituelle, nous sommes des esprits occupés à traverser une éphémère expérience humaine. » Ça m’a semblé être une formidable façon d’envisager notre condition. »

(1) LE FILM DOUBLEMENT OSCARISÉ DE STANLEY KRAMER OÙ SIDNEY POITIER SE RETROUVE CONFRONTÉ AUX SOUDAINES CONTRADICTIONS DES PARENTS AUX CONVICTIONS SOI-DISANT LIBÉRALES DE SA FUTURE ÉPOUSE.

Trois questions à Amma Asante

Réalisatrice de A United Kingdom.

Rosamund Pike, la glace et le feu

A United Kingdom s’inspire du livre de Susan Williams, Colour Bar (littéralement, La Barrière de couleur, NDLR), soit une expression désignant la discrimination raciale qui avait cours dans les anciennes colonies britanniques en Afrique, et qui a précédé la politique de l’apartheid en Afrique du Sud…

Oui, il s’agit d’un livre essentiel, mais d’une densité et d’une complexité assez peu communes. Le challenge était de condenser son contenu, édifiant, dans un long métrage de moins de deux heures qui trouverait le bon équilibre entre la dimension romantique et le socle politique du récit. Ma stratégie narrative a été la suivante: il fallait que tous les enjeux politiques soulevés dans le film le soient à travers le prisme du couple mixte formé par Seretse et Ruth. Comment ont-ils été affectés par les décisions gouvernementales? Quel impact l’affirmation de leur union a-t-elle eu sur l’exercice du pouvoir?

Vous êtes anglaise de parents ghanéens. Pensez-vous que le film aurait été différent s’il avait été réalisé par un homme blanc?

Il est essentiel d’adopter un point de vue quand vous réalisez un long métrage, et la personne que vous êtes, ce qui vous constitue en tant qu’être humain, contribue largement à le déterminer, que cela soit conscient ou non. Je suis donc intimement persuadée que le film aurait été profondément différent s’il avait été réalisé par un homme blanc. Le thème de la solidarité entre les femmes qui traverse le film m’était particulièrement cher, tout comme la volonté de faire entendre au mieux la voix des Africains. Mais je trouve très important que des hommes, noirs ou blancs, puissent également s’emparer de ce type d’histoire, et en proposent des visions complémentaires. C’est toute la richesse de l’idée même de diversité.

L’Afrique prend une dimension parfois très « carte postale » devant votre caméra…

J’ai grandi près de Londres, entourée de briques et de béton. Et quand l’été on partait en vacances au Ghana avec ma mère, j’étais littéralement soufflée par les couchers de soleil auxquels j’assistais là-bas. L’Afrique est magnifique, pourquoi ne pourrais-je pas montrer toute l’étendue de sa beauté?

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